L'agriculture en pays d'Aix cultive sa diversification

L'agriculture en pays d'Aix repose sur les vignes et l'olive. Mais de plus en plus de cultures nouvelles se développent.

L'agriculture en pays d'Aix repose sur les vignes et l'olive. Mais de plus en plus de cultures nouvelles se développent.

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Aix-en-Provence

La monoculture ? Fragile. La pression foncière ? Insupportable. L'agriculture cherche de nouveaux modèles

Des vignobles, des oliviers, ici, un champ de blé, et puis des vignobles, des oliviers, là, quelques maraîchages, et puis, des vignobles... Mais aussi, voilà des bulbes de safran, une poignée de spiruline du côté de La Roque, quelques autruches à Bouc-Bel-Air, des chèvres à Trets et à Rognes, des pois chiches sur le plateau de Puyricard, et des amandiers. L'agriculture en pays d'Aix cherche à se diversifier entre ces deux piliers que restent l'oléiculture et la viticulture, la culture du blé dur restant mineure en comparaison, celle de la betterave décidément gardannaise.

Se diversifier parce que quand une exploitation repose sur une monoculture, cela la fragilise -les oléiculteurs qui ont vu la récolte 2014 ravagée par une satanée mouche en savent quelque chose. Une diversification qui est aussi dans l'air du temps où l'on produit pour consommer local, avec une clientèle de plus en plus avide de bio. Un modèle économique fonctionnant bien avec les petites exploitations maraîchères composant le tissu agricole qui vendent directement à la ferme ou sur les marchés.

Pression foncière

Le pays d'Aix reste néanmoins excessivement contraint à cause de la pression foncière. À la Communauté du pays d'Aix, qui a dessiné dès 2005 une charte pour la dynamisation de l'agriculture, on a dû intervenir le trimestre dernier à quatre reprises pour préempter des terrains en vertu d'un partenariat avec la Safer. Et Olivier Nasles, exploitant, qui siège à la Chambre d'agriculture, voit passer son compte de demandes de permis de construire maquillant du résidentiel -je plante quatre oliviers, je mets deux chevaux et un âne, et je me dis agriculteur.

Pour autant, si coincé entre le Concors et Sainte Victoire, on est loin des champs à perte de vie de La Bausse, la CPA revendique et promeut une identité agricole forgée par 5 AOP en vin, 3 en huile d'olive, 4 IGP (miel de Provence, vins de pays des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, Agneau de Sisteron), une 5e en voie de finalisation pour les calissons d'Aix, deux Label rouge pour le miel, un pour les plantes aromatiques (la coopérative de Trets), un AOP brousse du Rove en projet, une marque pomme de terre de Pertuis. Le tout représentant un chiffre d'affaires de 67M€ (15% du CA généré par l'agriculture du département), 1 500 emplois directs et 9 000 induits...

Une manne qui se chouchoute. Or, le vieillissement des agriculteurs, qui ne trouvent pas de relève, s'est traduit par une perte du quart des emplois agricoles en dix ans alors que toutes les études démontrent la pérennité des exploitations agricoles. La faute, encore, à la pénurie de foncier.

Cet automne verra les premières couveuses agricoles à Pertuis ; un outil fonctionnant sur le modèle de la pépinière d'entreprise pour aider au démarrage de nouveaux agriculteurs avant d'organiser leur installation, et prioriser des cultures peu consommatrices d'espaces. C'est en ce sens qu'oeuvrent CPA et Chambre départementale d'agriculture, pour dynamiser l'implantation de safran ou de pois chiches.

"Cela permet de réintroduire des anciennes cultures provençales, intéressantes car s'accompagnant de transformation, mais on est là sur des compléments de revenus" poursuit-on à la CPA. D'autres pistes sont à l'étude : plants de fraises sous serre ou encore, grenadiers.

"Des compléments de revenus"

Un travail de dentellière. "À une époque, on voulait réintroduire le câpre, se souvient Olivier Nasles, mais il faut une main d'oeuvre énorme pour les ramasser. Le safran ? Combien de bulbes et de travail pour récolter un gramme ?" Oui, mais cher, le gramme.

Olivier Reboul, safranier au Puy Sainte-Réparade depuis cinq ans, qui vient d'avoir la certification bio, ne dit pas autre chose. Mais il résiste. "Je fais des produits dérivés à ma petite échelle : thé, sel, huile, sirop au safran, et je travaille avec les particuliers, des épiceries fines, les marchés". Il tire de ses 4 000m² 500 à 800 grammes d'or rouge par an. Une toute petite échelle qui correspond à ses "valeurs".

Laurence Olivier, qui cultive son safran ferme du Cativel depuis maintenant trois ans, confirme. "Cela reste une culture marginale, on n'achète pas du safran tous les jours, mais sa culture reste un plaisir tout autant que sa promotion. Désormais sur les marchés, des gens m'apportent dépités ce qu'ils ont acheté lors de leurs voyages : on voit à l'oeil nu combien le mélange avec d'autres herbes est grossier. Au moins, le message de la qualité passe, avec celui de la consommation locale..."

Agriculteur reste, au demeurant, une vraie vocation...


Le retour (timide) des amandiers, de Célony à Jouques

L'amandier a disparu de Provence après les terribles gels des années 50. S'il est revenu notamment dans les Alpes, sa plantation a démarré plus timidement au pied de Sainte Victoire. Le paradoxe étant que nos calissons d'Aix, sans amande, ne seraient pas des calissons, et que les producteurs importent le fruit d'Espagne (1er producteur européen avec 40 00 tonnes/an) ou de Californie (1er producteur du monde avec 700 000t).

Maurice Farine, des Calissons du Roy René, fait partie de ceux qui militent pour la réintrodution des amandiers. "On compte de nombreuses exploitations fonctionnant en circuit fermé comme celle des Jaubert sur le plateau de Valensole qui alimentent l'huile d'amande en cosmétique." Il a commencé à en planter derrière la nouvelle usine, à Célony. Son successeur à la tête de l'entreprise, Olivier Baussan, qui a décerné à notre calissionnier -toujours président du conseil d'administration- le joli titre de "porteur de mémoire" , est dans la même lignée.

"L'amandier a mauvaise réputation, poursuit Maurice Farine, le temps est fini celui où l'on cultivait sa petite parcelle à la main. Pour être rentable, il faut des surfaces plus vastes pour une récolte mécanique. Nous, on voulait prouver que c'est possible. On a perdu du temps à trouver les bonnes variétés, aménager les agents pollinisateurs, faire les greffes... Après tout, j'étais calissonnier, pas arboriculteur. On vise 8 ha, on en a planté la moitié. Moi, j'y crois, et Olivier Baussan veut aller encore plus loin en créant sur le site un conservatoire des amandiers".

La réintroduction des amandiers portée par la CPA remonte à 2007 à Jouques, Domaine de Villemus. Michel Adaoust y cultive oliviers, vignes, blé dur, lavandin et il a foncé dans ce projet, subventionné par la Chambre d'agriculture : 750 amandiers, sélectionnés pour leur floraison tardive, grandissent du côté de Bèdes, mais... c'est un métier : "Cinq ans sont nécessaires pour que l'arbre fournisse ses fruits. Depuis, j'ai eu de gros soucis pendant plusieurs années à cause de la guêpe de l'amandier. J'ai perdu une grosse partie des récoltes. Pour pouvoir traiter, j'ai dû me décider, cette année, à renoncer au bio. Et là, les arbres sont en train de souffrir du fait de la sécheresse, et mon terrain n'est pas irrigué... Mais je ne regrette rien. Ma récolte part en vente directe, pour des particuliers amateurs de l'amande de Provence, qui m'achètent 700 grammes ou 2 kilos, certains pour confectionner leur propre nougat. Après, c'est pas avec mes 500 kilos de production annuelle que je pourrai demain alimenter les calissonniers : il faudrait que je produise trois plus !"

Des calissons d'Aix faits d'amandes locales ? Selon Maurice Farine, il faudrait 200 ha d'amandiers... Un jour, peut-être ?


Demain, les pois chiches du plateau de Puyricard !"

Créer une vraie marque de l'agriculture produite sur le plateau de Puyricard, fédérant le plus grand nombre d'acteurs économiques pour lui donner une résonance plus forte : c'est le rêve que caresse Hugues de Roquefeuil, aidé par la Communauté du pays d'Aix, président de l'association des exploitants et propriétaires du plateau de Puyricard. Ce descendant du comte Louis de Roquefeuil, qui édifia au XVIIIe le château d'Alphéran, a décidé de relancer l'agriculture au sens noble du terme sur les terres, tandis que ses soeurs continuent, plutôt avec succès, à organiser séminaires et mariages sous les dorures et dans les jardins.

De l'agriculture, sur le plateau, il y en a toujours eu. Mais Hugues de Roquefeuil déplore l'urbanisation qui a dévoré les champs, champs qui, selon les modes, se transforment en panoramas de maïs ou de tournesols. Et dont l'économie, selon lui, est fragile, reposant trop sur les aides européennes, quand elle pourrait trouver un équilibre en innovant.

Chez les Alphéran, on cultivait la vigne mais une maladie a nécessité d'arracher tous les ceps. On y cultive aussi le blé dur et, cette année, on s'est attaqué à une transition bio. Et ne dites pas "bio", je vous prie, mais "culture sans épandage phytosanitaire". Bien.

Hugues de Roquefeuil s'est lancé dans le safran et le pois chiche. "M. Crosnier Mangea d'Agrosemens (semencier potagériste dans les graines de semences issues de l'agriculture biologique, aux Milles, Ndlr) a retrouvé une variété abandonnée, le pois chiche du Roy René. Nous sommes partis dessus, forcément. La semence va d'ailleurs être réinsérée dans le catalogue variétal. Nous avons à peine une année de recul, sur un hectare, il nous faut réapprendre à le cultiver".

Le pois chiche du Roy René, ce sera un des produits phare de la culture du plateau, à l'instar de la vigne et du safran, que M. de Roquefeuil a planté sur 150m².

"Vous connaissez les pruneaux d'Agen ? Le foin de Crau ? La lentille blonde de Saint-Flour ? Demain, vous connaîtrez le safran, le pois chiche, la cuvée du Plateau de Puyricard !". Trois marques d'ores et déjà déposées. Et M . de Roquefeuil regorge d'idées pour promouvoir le tout, à coups de repas festifs et partenariats gastronomiques, entre autres.

"J'entends tout contrôler de A à Z, poursuit-il : ce qui est rare est cher mais ce qui est cher n'est pas rare. L'objectif, c'est d'imposer un cahier des charges rigoureux, des règles d'agriculture raisonnée."

Si on lui oppose le manque de convictions de certains, qui estiment que cultiver du safran, c'est "faire mumuse", et que le pois chiche, c'est voué à l'échec tant il faut de la main-d'oeuvre pour ramasser la précieuse graine, l'homme balaye l'argument d'un coup de Panama. "Si le coût de production est plus élevé, la qualité sera au rendez-vous et le prix de vente adapté."

Son épouse, Danièle, s'occupe des produits dérivés. Elle confectionne elle-même houmous, tapenade de pois chiche, fleurs de sel, confitures ou croquants à base de safran. "Notre souhait, c'est créer une petite unité de production sur Puyricard".

Aujourd'hui, ils seraient deux à trois producteurs du plateau à se lancer dans cette culture ancestrale du pois chiche, rejoints par neuf safraniers, et l'objectif est de monter tranquillement en puissance. Le but ultime étant de voir un jour un label "Puyricard sur un plateau" pour la culture issue de ces cultures en devenir.