Gaston Defferre le 27 février 1978 à Marseille

Gaston Defferre le 27 février 1978 à Marseille

afp.com/GERARD FOUET

Aucune cérémonie particulière, si ce n'est le dépôt d'une gerbe, ne viendra marquer l'anniversaire du décès de l'avocat protestant cévenol devenu "L'Homme de Marseille", titre d'un ouvrage qui lui fut consacré en 2001 par son épouse Edmonde Charles-Roux, décédée en janvier dernier.

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Defferre avait eu droit à des funérailles nationales, le 12 mai 1986, réunissant autour de son cercueil le président de la République, son ami François Mitterrand, la quasi-totalité du gouvernement et 200 parlementaires.

Résistant, parlementaire, deux fois ministre d'Etat, Gaston Defferre a aussi connu un destin national, comme auteur des lois sur la décolonisation (1956), puis comme baron du socialisme et enfin, après l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, comme père de la décentralisation. Sa carrière politique reste marquée par deux candidatures aux présidentielles: en 1965, sous le pseudonyme de Monsieur X, il finit par se retirer, et en 1969, sa tentative se solde par un échec cinglant.

Maire de Marseille, il contribue à la modernisation de la ville. "On lui doit les grands travaux d'aménagement de la ville", des plages au port de commerce, du système d'alimentation de l'eau aux hôpitaux et au métro, commente l'avocat Michel Pezet qui fut son dauphin avant une brutale rupture.

Sous l'ère Defferre sont érigés plus de 80.000 logements en dix ans, notamment pour accueillir 300.000 rapatriés d'Algérie. C'est l'époque des grands ensembles dans les quartiers nord de Marseille mais aussi de la division de la ville entre un nord pauvre et un sud riche. "L'urbanisme, comme le système de transport, on continue d'en souffrir", regrette Michel Pezet, pour qui "l'urbanisme ne pouvait qu'être porteur de la situation dramatique de certains quartiers aujourd'hui".

- "Cogestion" avec FO -

Homme de gauche, devenu anticommuniste avec la guerre froide, Defferre noue des alliances politiques jusqu'au centre-droit pour garder le pouvoir. En 1965, il permet même à un certain Jean-Claude Gaudin d'entrer, sous l'étiquette du Centre national des indépendants et des paysans (CNI), au conseil municipal, en étant élu sur sa liste. Un héritage totalement assumé par le maire LR actuel, jamais avare d'anecdotes sur cette époque.

"Cet homme-là a apporté quelque-chose à cette ville" qu'il "a servi", estimait encore il y a quelques semaines Jean-Claude Gaudin, qui peut néanmoins aussi égratigner son prédécesseur, notamment sur le mauvais accueil qu'il a selon lui réservé aux rapatriés d'Algérie ou sur son opposition à la création d'une grande métropole dans les années 1960.

Refusant de s'allier aux communes communistes voisines, Gaston Defferre n'en voulait pas, rappelait encore récemment celui qui fut son adversaire malheureux aux municipales de 1983: un peu plus au nord, "Lyon a pris de l'avance", souligne Jean-Claude Gaudin. Trente ans plus tard, la ville en paye encore le tribut: la métropole Aix-Marseille-Provence est née début 2016 dans la douleur.

Parallèlement, pour acheter la paix sociale et contrer la CGT, Defferre privilégie le syndicat Force ouvrière, dont le poids s'est encore accru avec ses successeurs, jusqu'à être accusé aujourd'hui par les détracteurs du maire Jean-Claude Gaudin d'être devenu "cogestionnaire" de la municipalité.

"La cogestion, Defferre l'a montée mais c'était différent d'aujourd'hui. Il fallait que les gens s'adaptent, il avait de l'autorité", estime Michel Pezet. "Il s'appuyait sur FO mais c'est lui qui donnait les directives", renchérit Patrick Mennucci, candidat PS aux dernières municipales, évoquant un homme "un peu autoritaire".

Le député PS se souvient que, jeune responsable du parti, il avait monté une association pour réintroduire la corrida à Marseille. Defferre, anticorrida, le convoque aussitôt: "C'est quoi cette connerie'", lance le maire. Il exige de Mennucci qu'il démissionne de l'association: "J'ai obtempéré".

Devenu homme de presse en prenant les commandes du journal Le Provençal, il en fait une arme de combat politique. "En période électorale, c'était une arme de combat. Hors période électorale c'était un journal comme les autres", témoigne Claude Mattéi, qui en fut le rédacteur en chef. Il se remémore aujourd'hui la lecture des éditoriaux qu'il faisait par téléphone au "patron", la nuit précédant leur parution.

- "Tous des cons!" -

A la fin des années 1960, Defferre prend également le contrôle du journal d'opposition, Le Méridional, très à droite. "C'était assez diabolique mais bien vu", reconnaît Claude Mattéi: "Il laissait une entière liberté éditoriale, ça alimentait la bagarre".

Sur le fond, "le patron très directif" n'obtenait pas toujours gain de cause. "Lors des manifestations pour l'école libre, en 1984, il contestait le nombre d'un million de manifestants donné par l'AFP", se souvient Claude Mattéi. Ministre de l'Intérieur, Defferre disait avoir un chiffre de "quelques milliers" donné par les renseignements généraux: "Nous avons tenu bon avec un million. Je le lui fais remarquer le lendemain... +Oui mais tous des cons!+, réplique Gaston Defferre".

Un pied à Paris, l'autre à Marseille, Gaston Defferre a manqué d'y préparer sa succession. "Il a refusé de l'organiser, car le faire c'était mourir", analyse l'historienne Anne-Laure Ollivier.

Michel Pezet se souvient d'un déjeuner "avec Gaston", en présence de François Mitterrand. "Vous avez donc un successeur'", dit ce dernier à son vieil ami. Defferre se tait. "Je me suis dis +Je suis mort+", raconte Michel Pezet.

De fait, la mort brutale de Gaston Defferre, au soir même de sa mise en minorité par Michel Pezet à la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, plongera la gauche marseillaise dans des affrontements fratricides toujours d'actualité, lui faisant perdre tour à tour au profit de la droite tous les pouvoirs qu'elle détenait: mairie, département, région.

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