Avec les vignerons du Luberon qui font du vin sans cave
Toutes les photos sont de l'auteur.

FYI.

This story is over 5 years old.

Food

Avec les vignerons du Luberon qui font du vin sans cave

Chez Marc et Shirine Salerno, le moût fermente dans des jarres en verre à ciel ouvert pour exprimer au mieux la spontanéité de la nature.
Diletta Sereni
Milan, IT

En Provence, il existerait des vignerons atypiques capables de produire un très bon pinard sans passer par la cave. Premier constat : ils ne sont pas simples à trouver. Ils n'ont pas de site et pas vraiment d'adresse - dans le sens classique du terme.

Du coup, pour les trouver, j'ai recours à différentes options : me fier au GPS qui n'a pas la moindre idée de notre position, obtenir de passants forts sympathiques des renseignements beaucoup trop compliqués ou tenter le coup à l'instinct.

Publicité

LIRE AUSSI : En scaphandre à la découverte de la véritable ivresse des profondeurs

Ce qui est exactement ce qui va se passer. On prend d'abord une rue, puis une autre et quelques heures après, on découvre que ce simple principe de causalité est en fait le préambule à la rencontre d'aujourd'hui.

Je suis en Provence, dans le Luberon. Je me trouve dans une zone vallonnée, près de la ville de Pertuis. Je suis à la recherche de deux vignerons qui, apparemment, font du vin sans cave. Et je commence à penser que je suis bientôt arrivée à destination.

La vigne que je longe ne ressemble pas à celle que j'ai l'habitude de voir. Elle n'est pas organisée en rangées. On dirait plutôt un espace de végétation spontanée avec, ici et là, quelques pieds de vigne (spoiler : c'est exactement ce que c'est).

Cadavre Exquis provenza

Les escargots.

Et puis il y a les escargots : une myriade de minuscules carapaces blanches qui se sont accrochées aux brins herbes, aux plantes, aux pieds et un peu partout. Comme une espèce de manteau vivant enveloppant la végétation qui viendrait d'une autre dimension. Et je n'ai encore rien bu.

Vignaioli senza cantina Francia

Marc et Shirine Salerno viennent à notre rencontre en souriant et accompagnés de leur chien (lui aussi recouvert d'escargots). Elle est énergique, habituée à se raconter. Lui est plus silencieux, la parole rare et mesurée. Il semble accepter sans vraiment comprendre, au fond, la curiosité pour une méthode qu'il pratique depuis près de trois décennies.

Publicité
Cadavre Exquis proprietari

Diletta avec Marc, Shirine et leur chien.

Ils ont décidé d'appeler leur petite entreprise, Cadavre Exquis. Une référence au jeu des Surréalistes pendant lequel on écrit un mot sans savoir ce qui a été écrit précédemment par les autres et on donne naissance à des phrases au hasard. Le jeu a lui-même pris le nom de la première phrase écrite de cette manière par Breton et ses potes : « Le cadavre exquis boira le vin nouveau ».

« C'est une façon d'écrire qui montre comment la diversité peut produire de la poésie », m'explique Shirine. Et la diversité a un rôle central dans notre travail : la vigne est une sorte de forêt comestible où, sur 4 hectares, se côtoient plusieurs variété de cépages (Ugni blanc, Aramon, Carignan, Cinsault, Oblun, Merlot), de nombreuses plantes sauvages et 400 arbres fruitiers, plantés au fil du temps par Marc : des figuiers, des amandiers, des grenadiers et des oliviers.

Uva Provenza

On avance dans le vignoble et on croise des pieds qui ont entre 70 et 100 ans. « Notre méthode consiste à créer un équilibre dans l'écosystème du vignoble, sans utiliser aucun traitement », précise les Salerno. Rien depuis 17 ans, même pas un peu de cuivre ou de soufre, souligne-t-ils à plusieurs reprises.

« Même les animaux - ânes, chevaux, abeilles - ont un rôle dans le maintien de cet équilibre. C'est l'ampleur de la biodiversité qui maintient les pieds en bonne santé, en plus du fait qu'on ne les pousse pas à produire pour produire, on prend seulement ce qu'ils nous donnent. »

Publicité

Ici, on est bien au-delà du biologique. L'approche des Salerno se situerait plutôt entre la permaculture et ce que Shirine décrit comme de l'agriculture sauvage : « On suit un concept qui a été développé par Masanobu Fukuoka, mais pour être honnête, ça fait pas très longtemps qu'on l'a lu et Marc a commencé il y a déjà plusieurs décennies. »

Marc et Shirine me montrent ce qui leur sert de cave : un gros tas de terre, recouvert de paille, d'où émergent à quelques endroits le bouchon de ces fameuses bonbonnes.

On est mi-août et les raisins sont presque prêts, en particulier à cause de la chaleur qui a sévi cette année. « La récolte se fait entièrement à la main, en passant dans le vignoble avec un tonneau monté sur roues. On assemble les raisins à l'intérieur, au moment même de la collecte. »

Du baril, le moût passe directement dans les « bonbonnes » : des grosses jarres en verre qui restent quelques mois à ciel ouvert, pour la fermentation, avant d'être mises sous terre au printemps. Mais pas vraiment comme on l'entend.

C'est le moment choisi par Marc et Shirine pour me montrer ce qui leur sert de cave : un gros tas de terre, recouvert de paille, d'où émergent à quelques endroits le bouchon de ces fameuses bonbonnes.

Cadavre Exquis Cantina

La cave.

Le vin y est littéralement enterré. Il n'est exhumé qu'au moment de la mise en bouteille. Les Salerno n'ont besoin de rien d'autre que d'une pelle, un peu d'énergie et un trou assez grand pour contenir les 70 jarres. Le résultat ? Une petite production de 30 à 35 hectolitres. Aucun épanchement, aucune filtration, rien de rien.

Publicité

Je récapitule rapidement dans ma tête tout ce qui pourrait merder dans la manière de produire un vin comme celui-ci et je suis impatiente de le goûter. Une grande partie de ce qu'un sommelier considérerait comme « mauvais » dans le vin est pour moi une source d'intérêt. Et ici, je suis prête à boire quelque chose qui est vraiment hors de mes canons de goût - pourtant assez élastiques.

À l'approche de la dégustation, ils se confient sur leur expérience. Marc est agriculteur depuis 1972. Il a commencé à 18 ans. C'est un précurseur de la méthode bio, quand elle était appliquée de manière informelle - avant que la France établisse au début des années 1980 un semblant de règles. Début 1990, il se lance dans le vin, d'abord pour sa propre consommation, puis à partir de 2011 et avec l'aide de Shirine, pour la vente.

Damigiane sottoterra

Les bonbonnes.

Marc raconte une anecdote à l'origine de son activité : « Il y a trente ans, j'ai parlé avec un homme qui n'était pas loin de la retraite. Il m'a dit qu'il faisait du vin en enterrant des bonbonnes de verre sous terre. Que c'était un bon vin. Un vin qui ne faisait pas mal à la tête. Mais que malheureusement, il ne pouvait plus le faire. J'ai donc décidé de prendre le relais et de le faire de la même façon. »

Cette histoire est impossible à vérifier. Mais elle colle bien avec la simplicité de Marc et de sa méthode. Quelque chose née de manière un peu spontanée et qui a perduré comme s'il n'y avait pas d'autres solutions.

Publicité

Ici, pas de frou-frou ou de chichis. Marc ne veut pas passer pour un saint et la citation surréaliste est sans prétention. En plus, de ce que j'ai constaté, Marc n'a pas encore pleinement conscience de la révolution « naturelle » qui se passe dans le domaine du vin : « Pour moi, ce n'est pas faire du vin naturel, c'est faire du vin, tout simplement. »

Dégustation maison.

Les concepts de terroir et de cru, qui ont fait le succès et la fortune commerciale du vin français, ne sont pas arrivés jusqu'ici. Les raisins sont mélangés et le vin mis en bouteille puis vendus en fonction des besoins : « On fait quelques marchés locaux et une foire à l'année, mais la demande augmente. L'idéal serait de garder le vin sous terre au moins trois ans, mais aujourd'hui, on le met en bouteille au bout d'à peine un an. »

Cadavre Exquis Vini

Face à un processus de production aussi simple et une part aussi importante laissée au hasard, même selon les normes des vins naturels, on s'attend à un vin assez brut. En fait, pas du tout. Au contraire, il a un goût propre, fin, sans mauvaises odeurs ou défauts. Je le goûte dans la maison que les Salerno se sont construits seuls – en aurait-il pu être autrement ? – avec de la pierre, de la terre et des matériaux recyclés.

Etichettatura bottiglie vino latte

Etiquette et lait bio.

Alors que je bois en jouant avec le chat, les Salerno scellent quelques bouteilles avec la cire d'abeille – en provenance de leurs propres ruches – avant d'y coller les étiquette, avec du lait. À ce stade, il est clair qu'ils sont tous les deux dans une sorte d'idylle bucolique et je sens déjà les escargots blancs se glisser dans mes cheveux.

Publicité
Chiusura bottiglie vino con c'era d'api

Pinard et cire d'abeille.

Je fais goûter le vin rouge que j'ai rapporté à Milan à un ami sommelier et un distributeur de vins naturels. Ils ont un palais plus éduqué que le mien. À l'aveugle, les deux ont parlé d'un vin équilibré, élégant et très bon.

LIRE AUSSI : Avec les vignerons qui font vieillir le vin dans des grottes

Alors je leur ai raconté l'histoire de ces deux vignerons provençaux, qui, au lieu d'une cave, ont simplement 70 bonbonnes en verre et une pelle pour creuser. Une histoire qui montre comment on peut faire du vin avec un minimum de moyens et une exposition maximale à la spontanéité de la nature.

Et les résultats sont au moins aussi étonnants que les phrases assemblées au hasard d'un jeu surréaliste.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES Italia.