Marseille : l'émotion, 75 ans après les rafles

Les cérémonies du 75e anniversaire de l'évacuation et de la déportation des populations du Vieux-Port et de l'Opéra se sont tenues en deux temps.

Les cérémonies du 75e anniversaire de l'évacuation et de la déportation des populations du Vieux-Port et de l'Opéra se sont tenues en deux temps.

Photos Nicolas vallauri

Marseille

Dimanche matin, une cérémonie du souvenir a été organisée place Daviel, sur le Vieux-Port et sur le parvis de l'Opéra

De présentation de voeux en partage de galette des rois, le mois de janvier est celui de toutes les sollicitations pour les représentants de nos collectivités territoriales. Est-ce une raison suffisante pour ne pas participer aux cérémonies du souvenir commémorant les terribles nuits des 22 et 23 janvier 1943 qui marquèrent Marseille dans sa chair ?

Point de préfet de région Pierre Dartout, de maire de Marseille et président de la Métropole Jean-Claude Gaudin (LR), de présidente du Département Martine Vassal (LR) ni de président de Région Renaud Muselier (LR) : hier matin, tous étaient représentés, le premier par la sous-préfète déléguée pour l'égalité des chances Marie-Emmanuelle Assidon, les autres par des élues de chacune des collectivités.

"S'adresser à la jeunesse"

Le 75e anniversaire des rafles du Vieux-Port et du quartier de l'Opéra, qui virent 25 000 personnes arrêtées et 1 582 déportées vers les camps de Pologne et d'Allemagne, avec la participation active de la police zélée de René Bousquet, a été célébré hier en deux temps.

Face au monument de la Déportation de la place du 23-Janvier-1943, au pied de l'Intercontinental, les témoignages poignants de ceux qui ont vécu ce douloureux épisode de l'Histoire se sont succédé. Celui de Francine Escalier, secrétaire régionale de l'Amicale des anciens déportés d'Oranienburg-Sachshausen, mais aussi celui de Denise Toros-Marter. La présidente de l'Amicale des déportés d'Auschwitz a mis en parallèle ces sombres périodes de l'Histoire avec l'actualité des attentats commis par des groupes se revendiquant de Daesh ou du Hamas : "Nous vivons à nouveau une ère terrifiante face à laquelle il faut faire preuve de vigilance pour que nos enfants ne connaissent jamais ce qu'on a connu il y a 75 ans."

Puis ce fut au tour de Raymond Alexander, président de la Mémoire vive de la Résistance d'insister : "Même s'il y en a peu ce matin, c'est aux jeunes qu'il faut s'adresser, pour qu'ils sachent ce qui s'est passé ici, il y a 75 ans, qu'on se souvienne des souffrances vécues alors, de ce que l'homme est capable d'inhumanité, qu'on se souvienne du fait que la France avait participé à cette barbarie et que des hommes se sont levés, au péril de leur vie pour combattre l'envahisseur." Avant le dépôt de gerbes par les institutions, les associations, le grand rabbin de Marseille, ainsi que les représentants du Crif, du consistoire israélite et du comité français pour Yad Vashem, les lauréats du concours national de la Résistance ont lu un texte d'Alber Aben, Le temps des rafles. Dans un second temps, la cérémonie s'est poursuivie sur le parvis de l'opéra, avec un émouvant Chant des marais, entonné par une chorale devant un public plus nombreux et plus jeune.

"Crime de guerre ou sordide spéculation immobilière ? Saura-t-on un jour la vérité ?"  

Francine Escalier, secrétaire de l'Amicale des anciens déportés d'Oranienburg-Sachshausen témoignait hier, place Daviel :

"Le dimanche 24 janvier 1943, 25 000 personnes sont chassées sans ménagement de leur logis, des haut-parleurs montés sur des voitures ordonnent l'évacuation. Nous qui avons vécu cet exode, comment pourrions-nous oublier ces images d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, parmi lesquels nos propres parents, chassés impitoyablement de leur maison, nantis de quelques paquets ou baluchons noués en toute hâte... Cette population est dirigée vers les camps d'internement de Fréjus.

Nous n'avons pas oublié ce crime perpétré contre un quartier paisible abritant des familles d'ouvriers, commerçants, navigateurs, pêcheurs, dockers, tous des braves gens qui vivaient depuis des décades en ces lieux. Françaises ou d'origines étrangères, de toutes religions, ces familles avaient acquis la certitude d'y passer des jours heureux. Malheureusement, le 17 février 1943, à la place de nos vieux quartiers s'étendaient 14 hectares de ruines.

Crime de guerre ou sordide spéculation immobilière ? Saura-t-on un jour la vérité sur ce malheur qui a frappé Marseille ? On a parlé de "racaille", "d'épuration". Rien ne justifiait les prétextes invoqués. Les Allemands voulaient débarrasser Marseille de ses bandits internationaux. Mais alors quelles sont les véritables raisons des opérations de police "si nécessaires" ? Quand on sait que ceux qui auraient dû avoir quelque chose à redouter, avaient singulièrement quitté la ville ou avaient plus simplement rejoint les rangs de la gestapo pour la poursuite de tristes et fructueuses affaires. Il fallait créditer la thèse officielle et l'on a puisé sans discernement dans la population laborieuse de nos vieux quartiers. À Fréjus, la commission de criblage obéissant aux ordres hitlériens désigne près de 600 hommes âgés pour la plupart de 16 à 20 ans pour être internés au camp de Royalieu à Compiègne où ils retrouvent leurs camarades juifs arrivés une semaine plus tôt. Quelque temps après leur arrivée, les juifs sont rassemblés sur la place d'appel pour être déportés vers les camps de Sobibor où ils disparaissent dans les chambres à gaz. Puis c'est le tour des internés du Vieux-Port : près de 600 sont déportés au camp de concentration de Sachsenhaussen où 80 % d'entre eux trouvèrent la mort. Survivants des survivants, nous continuons à oeuvrer pour la mémoire de ces tristes journées de janvier 1943 et nous appelons à la vigilance contre toute résurgence de ce fléau que fut le nazisme nourri par le racisme et l'antisémitisme."