Conférence citoyenne à Aix : après les mots, les jeunes veulent des actes

Venus de toute la France, une centaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans ont planché sur les thématiques du Grand débat pendant 24 heures. Ils ont formulé 12 "propositions" au gouvernement.

Venus de toute la France, une centaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans ont planché sur les thématiques du Grand débat pendant 24 heures. Ils ont formulé 12 "propositions" au gouvernement.

Photo Cyril sollier

Aix-en-Provence

Réunis depuis vendredi dans le cadre du Grand débat près d'Aix, ils veulent désormais des engagements du gouvernement

Une bulle géante, des tables rondes, des Post It de toutes les couleurs, un bar à gâteaux, une piscine "mais pas chauffée", un baby-foot, 95 garçons et filles âgés de 18 à 25 ans et même quelques caméras : on ne vous plante pas là le décor d'une nouvelle émission de téléréalité, mais celui de la "conférence citoyenne" nationale qui s'est déroulée à The Camp, près d'Aix-en-Provence, depuis vendredi. Pour participer ? Il fallait avoir tapé "oui" sur son smartphone.

Organisée dans le cadre du Grand débat national, cette assemblée avait la particularité de ne rassembler que des jeunes, sélectionnés à travers toute la France (lire aussi La Provence de samedi) sur la base d'un tirage au sort de 75 000 numéros de téléphone. "On a eu environ 10 % de réponse, ce qui est... normal", précise Gaëtane Ricard-Nihoul, responsable des "conférences citoyennes" de la mission Grand débat. Plutôt absents des milliers de rendez-vous organisés par leurs aînés à travers l'Hexagone - mais par ailleurs très présents dans les manifs pour le climat, où ils fustigent "l'inaction" des politiques - les jeunes étaient invités à réfléchir autour de quatre thématiques prédéfinies (transition écologique, organisation de l'État, fiscalité, démocratie et citoyenneté). Et à faire émerger, au bout d'un brainstorming en ateliers, une douzaine de propositions.

Le cabinet de conseil Res Publica, qui avait notamment organisé la concertation du polémique chantier de la place Jean-Jaurès, à Marseille, distribue les temps de parole. "Vous avez deux minutes", "On change de table dans 6 minutes" : le rythme est intense, il faut ramasser ses mots, être à l'aise à l'oral, réfléchir à toute vitesse. De fait, les participants s'avèrent souvent frustrés : le "manque de temps" est selon eux le point noir de la réunion. Le "cadre" idyllique de The Camp et l'accueil, en revanche, sont jugés au "top".

"Attention à la dictature de la majorité"

"Dans cette organisation, il y a un côté rigide, très Français, taquine de son côté l'Italien Giovanni Allegretti, urbaniste à Coimbra (Portugal). C'est assez castrant." Il est venu, avec un groupe de chercheurs "indépendants" étudier cet exercice de citoyenneté assez inédit en France. "On y voit une envie de s'exprimer, mais aussi un certain analphabétisme institutionnel", relève-t-il. L'organisation de l'État demeure, il est vrai, souvent confuse ou partielle pour nombre de participants. Rompu à l'étude de la démocratie participative, M. Allegretti en salue la vitalité, mais en interroge également les limites : "Attention à la dictature de la majorité. Elle peut créer un chaos pire que la démocratie représentative actuelle."

Ce besoin d'avoir son "mot à dire", d'être plus fidèlement représenté infuse à la table 16. C'est celle de Juan-Salvador, étudiant en lettres à Paris. Équatorien, il n'en demeure pas moins un observateur fin de la vie politique française ; sa réflexion guide l'élaboration d'une "consultation populaire et indépendante" susceptible de réorienter un mandat, de recadrer un élu.

Médiateur familial dans le civil et sexagénaire, Jean-François s'est porté volontaire pour "border" ces échanges où il ressent "la soif de justice et d'égalité". "On est d'accord, avant de lancer une pétition, on la fait valider par le conseil constitutionnel ?" Alexandre, 22 ans, sans emploi près de La Rochelle soupire : "Quoi qu'on propose, ce sera toujours le merdier !" En attendant, il faut déjà préparer un "paperboard", "synthétiser" les échanges en quelques phrases-clefs, selon la technique bien connue de "l'entonnoir", chère à la prospection marketing. Là, pour trouver la sortie du goulot, il faut remiser sa radicalité, viser le consensus et rester "bienveillant" : bref, comme dans une vie de parlementaire, mais sans les noms d'oiseaux et les stratégies en douze bandes...

Intense, le "brainstorming" impose de savoir ramasser ses idées et d'être doué pour la diplomatie...
Intense, le "brainstorming" impose de savoir ramasser ses idées et d'être doué pour la diplomatie... Photo Serge Mercier

Table 1, on est sur du lourd : rien de moins que la "refonte du système éducatif en profondeur". Étudiant en sciences politiques à Lyon, Walid, 21 ans, est ravi : "On avait des points de divergence, ça nous a poussés à argumenter.""On était d'accord sur le fond, pas sur la forme", précise Orianne, 23 ans, un emploi dans l'administration publique. Critique, la jeune femme juge cette conférence "peu représentative de la jeunesse française" et lit dans le panel "seulement des gens qui se sont sentis légitimes" à s'exprimer. "C'est un biais", note-t-elle. Walid opine : "Ici, je ne vois pas beaucoup de gens qui bossent déjà..." Déconnectés, les jeunes ? Non plus. La veille, une quarantaine de mains s'étaient même levées pour dire leur "sympathie" avec le mouvement des gilets jaunes. Mais pour d'autres, c'est "l'incompréhension". "Ils nous détestent parce qu'on est aisés ?" s'inquiète Joséphine, 18 ans, étudiante en école de commerce à Lille.

Positif sous sa casquette jaune, David, 21 ans, prépare une prestigieuse école de journalisme parisienne. "Je trouve que c'est comme au lycée, ici, il y a encore de la mixité", apprécie-t-il alors que chaque table désigne son orateur pour présenter les "propositions". À l'insu des jeunes, qui n'ont pas eu le temps de se documenter, certaines existent déjà, comme celle de taxer les entreprises polluantes. Elles tiennent aussi du grand écart idéologique : quand une table propose d'imposer seulement le patrimoine "pour encourager le mérite et le travail" ou une autre veut un système de bourses "remboursables" à l'américaine, une autre suggère la création d'un "héritage solidaire" dont pourrait bénéficier chaque jeune à sa majorité... "On est bluffés, émus", s'enthousiasme Sophie Guillain, la directrice générale de Res Publica.

Que fera le gouvernement de ce brainstorming aixois? Pas dupe, David propose déjà de "publier une tribune dans la presse, comme un petit coup de pression. Cher gouvernement : ne laissez pas tomber nos propositions."

Gabriel Attal, secrétaire d'État.
Gabriel Attal, secrétaire d'État. Photo S.M.

"Les jeunes ont un regard particulier sur le monde"

"Interdits" de conférences citoyennes par Édouard Philippe, qui ne voulait pas affronter des accusations en récupération, les ministres y ont parfois fait un saut discret. Secrétaire d'État à la Jeunesse, Gabriel Attal est ainsi venu vendredi saluer les jeunes avant le début des échanges à The Camp.

Pourquoi vouliez-vous une conférence seulement ouverte aux jeunes ?
Gabriel Attal : Parce que les jeunes ont besoin d'un cadre de confiance pour s'exprimer pleinement. Prendre la parole dans une assemblée ouverte à tous, ce peut être intimidant car on peut se dire qu'on n'a pas la même légitimité pour s'exprimer que d'autres qui auraient une expérience, un vécu, plus importants. Mettre en place un espace dédié aux jeunes, c'est garantir l'absence d'autocensure. Les jeunes ont des choses à dire et des propositions à faire sur tous les sujets, de l'écologie à la fiscalité, en passant par les institutions et les services publics. Ils ont un regard particulier sur le monde et, surtout, seront les premiers concernés par les transformations en cours.

Vendredi, à peu près la moitié de la conférence a déclaré "avoir de la sympathie" pour les gilets jaunes. Qu'en pensez-vous ?
Gabriel Attal : Cela montre que la méthode de tirage au sort, de quotas de représentation sociale et géographique, a fonctionné. Les études montrent qu'au niveau national, environ la moitié des Français a une sympathie pour les mots d'ordre exprimés initialement par le mouvement des gilets jaunes. Il me semble donc normal que cela se retrouve dans le panel de jeunes présents à Aix pour la conférence. Par ailleurs, être jeune, aujourd'hui, c'est avoir beaucoup d'angoisses : la dégradation de l'environnement, les difficultés sur le marché du travail, le risque terroriste... En revanche, je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils ne se reconnaissent pas dans la dérive violente du mouvement que nous observons aujourd'hui.

Quelles garanties ont les jeunes que leurs propositions seront traduites en actes politiques par le gouvernement ?
Gabriel Attal :
Les mêmes que pour l'ensemble des Français : si nous avons lancé cet exercice démocratique inédit, c'est pour apporter une réponse politique inédite. Le président de la République et le gouvernement feront des annonces en ce sens à la mi-avril. J'ajoute que le Président est extrêmement attentif à la jeunesse et qu'il m'a nommé au gouvernement précisément pour cette raison. Je travaille activement à ce que la jeunesse se retrouve dans l'issue politique du Grand débat. Les conclusions de cette conférence citoyenne des jeunes vont m'être très utiles pour avancer.