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Trop vieux, le mouvement antinucléaire ? Il manque surtout de jeunes

Le mouvement antinucléaire est-il trop vieux ? La publication en décembre sur Reporterre d’une tribune en ce sens a suscité la réaction suivante, que nous publions pour alimenter le débat.

Stéphane Lhomme est le président fondateur de l’Observatoire du nucléaire. Pour cette tribune, il se présente comme « jeune quinquagénaire, citoyen engagé (entre autres combats) contre l’atome et les compteurs communicants, délibérément non affilié à Facebook ».

Stéphane Lhomme.

La tribune titrée « Le mouvement antinucléaire est trop vieux, il doit se réinventer », publiée le 11 décembre dernier par Reporterre, a suscité de ma part quelques éléments de réflexion.

En premier lieu, certains points me paraissent discutables, voire injustes. Comme, par exemple, lorsque l’auteur rappelle que par le passé « la lutte n’était pas abstraite et se menait contre la destruction d’un espace vécu, contre l’anéantissement de formes de vie rurale et paysanne ».

Or, il est bien connu que la mobilisation est beaucoup plus compliquée face à des installations déjà existantes, et encore plus lorsqu’elles fonctionnent depuis des années, que lorsqu’il s’agit de s’opposer à un projet. C’est pour cela que les mobilisations étaient dynamiques dans les années 1970 et 1980 contre la construction des centrales et qu’elles le sont aujourd’hui, par exemple contre le projet d’enfouir à Bure les déchets radioactifs ou, hors du secteur atomique, contre le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il est d’ailleurs notable que, depuis de longues années, toute nouvelle construction d’installation nucléaire se fait ou est prévue dans le périmètre d’un site déjà existant : l’EPR dans le site de la centrale de Flamanville (Seine-Maritime), Iter dans le site nucléaire de Cadarache (Bouches-du-Rhône), le projet Astrid dans le site nucléaire de Marcoule (Gard/Drôme).

L’auteur accuse aussi le mouvement antinucléaire d’être un « club du troisième âge », ce qui n’est pas faux, mais il se trouve justement que les jeunes sont très — voire totalement — absents des luttes contre les sus-citées installations atomiques en service depuis longtemps : ils ont assurément mesuré que cette militance était bien difficile et se sont reportés vers des affaires plus porteuses. Pour ma part, alors que j’étais encore (relativement) jeune, j’ai créé il y a vingt ans en Gironde une association pour lutter contre la centrale du Blayais. Et aujourd’hui, alors que je suis déjà (relativement) vieux, je constate qu’aucune jeune « concurrence » n’est venue souligner la « ringardise » de notre engagement.

Nos jeunes ont été massivement enrôlés dans une secte, dont les gourous se nomment Smartphone, Facebook, Snapchat, et cie 

Il est d’ailleurs notable que l’auteur se place sous le haut patronage d’une expression, « le nucléaire et son monde », qui date elle-même de plusieurs décennies. Comme quoi, souhaiter le renouvellement est une chose, le mettre en œuvre en est une autre…

Pourtant nous, les « vieux », serions fort aises de n’avoir qu’à nous rendre à de dynamiques initiatives organisées par des jeunes nombreux et créatifs. Car, autre critique formulée par l’auteur, le mouvement antinucléaire serait triste et morne. Ce n’est certes pas faux, même si nous essayons de ne pas l’être trop, comme on peut le constater sur la photo ci-dessous, prise lors d’une récente initiative à Blaye, au cœur d’une région colonisée par l’atome. On note d’ailleurs la présence de jeunes, qui plus est souriants, même s’il faut bien reconnaître que ce sont « seulement » les enfants des vieux militants et non les fameux « jeunes » que nous attendons vainement comme Drogo espérait l’arrivée des Tartares.

Une manifestation « récente » des antinucléaires à Blaye (Gironde).

En affirmant que, « à vouloir trop jouer le professeur, le mouvement a pris son visage, celui d’un mâle blanc sexagénaire, bourgeois de surcroît », l’auteur se fait lui-même donneur de leçons. Sa critique s’embrouille même lorsqu’il affirme que les initiatives antinucléaires « sont devenues de simples “coups de com’” qui se “twittent” et se “likent” sur les réseaux » : les « vieux » sont-ils vraiment les plus accros à ces nouveaux comportements dictés par des multinationales du numérique triomphantes comme l’étaient encore, il y a peu, celles de l’atome ?

On me permettra d’ailleurs à ce sujet de faire une digression pour évoquer un dossier qui, depuis deux ans, me mobilise au moins autant que celui du nucléaire : le refus des compteurs communicants Linky, Gazpar et Cie. De nombreuses conférences « à l’ancienne » — un orateur, qui a « potassé », informe un public sagement assis en fasse de lui — rassemblent des assistances en augmentation continue, atteignant désormais souvent les 500 personnes… qui ont pour la plupart les cheveux blancs (ou plus de cheveux du tout !). Or, il apparaît que les jeunes ne sont pas en train d’agir ailleurs et d’autres manières, ils sont tout simplement absents et, pour tout dire, majoritairement étrangers à ce refus d’objets connectés (au-delà même des compteurs communicants). Oui, en quelques années à peine, nos jeunes ont été massivement enrôlés dans une secte, dont les gourous se nomment Smartphone, Facebook, Snapchat, et Cie.

Finalement, tout en faisant de bons constats, l’auteur ne se trompe-t-il pas de « cible » ? Il a bien raison de suggérer de renouveler les pratiques militantes et de ne pas se contenter de « liker », mais c’est assurément à sa classe d’âge qu’il doit s’adresser, et non à ces « vieux » qui font laborieusement ce qu’ils peuvent en ne prenant pour autant la place de personne…

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