Gilets jaunes à Marseille : plus qu'au prix du diesel, les blocus carburent à la haine de Macron

Manifestation des gilets jaunes sur le rond-point du Prado (8e) à Marseille

Manifestation des gilets jaunes sur le rond-point du Prado (8e) à Marseille

Photo Georges Robert

Marseille

"Allez les jeunes, les taxes, c'est pour tout le monde ! Macron est en train de tous nous bouffer !" s'époumone un homme devant le Burger King. Au téléphone, un sexagénaire ricane : "M'en fous, moi j'ai voté pour l'autre !" Les jeunes se font désirer mais quai des Belges, à 10 h 30, leurs parents, leurs grands-parents en gilets fluo "tiennent" le Vieux-Port de Marseille. Un peu surpris de voir que "finalement, ça prend en vrai", ce drôle de mouvement qui a gonflé d'un compte Facebook à l'autre. Pour beaucoup, cette manif, est la première d'une vie. "On ne sait pas trop faire, convient Maryse, comptable, 58 ans. On apprend."

"Les flics voulaient qu'on laisse passer les bus, les taxis, oh, ça va quoi !" s'indigne, là, un sexagénaire en doudoune, alors qu'un camion vient barrer toute circulation au bas de la Canebière. Une dame s'inquiète, temporise : "Je crois que c'est interdit de bloquer en France, on va pas se mettre mal avec la police ? Et s'ils nous gazent ?" Autour, on roule des yeux inquiets. Personne ne veut "être mal" avec les policiers.

Quand une voiture tente de forcer le passage, un groupe l'encercle : "Faut calmer le jeu, là, doucement", exhorte un homme. Plus tard, place Castellane, sur la Canebière ou rond-point du Prado, des incidents plus violents vont se reproduire : car sans service d'ordre ni expérience des cortèges, les gilets jaunes découvrent, parfois périlleusement, que leur cause et leur méthode irritent aussi.

"Il n'y a pas de chef, on n'en veut pas de chef", défend néanmoins Mina, lingère dans une clinique, qui a voté Marine Le Pen à la dernière présidentielle. Membre du même groupe Facebook, Jacques, retraité des transports, avait fait pareil. "Les syndicats, ils sont politisés, on n'en veut pas non plus", insiste-t-il. Enfin, peut-être s'il en trouvait un "de (ses) idées", consent-il. Un groupe entonne une Marseillaise devant le Parc Chanot. Sur le rond-point, un septuagénaire à casquette, bégaie un discours rance, antisémite. "Oui, je suis anti-tout", balaie-t-il. L'homme qui lui parlait deux minutes plus tôt s'en écarte : "Ma femme est juive", explique-t-il, mal à l'aise. Porter le même gilet jaune ne vous dit rien de votre voisin de lutte. Certains le découvrent brutalement.

Retour sur le Vieux-Port. Patrick, 56 ans, dont 27 à conduire son camion, est un Marseillais du Panier "en colère". Depuis un grave accident ("Pour éviter un con, je suis allé dans un platane"), il est en invalidité, à 800 € par mois, "après en avoir gagné 3 400 ". Ce déclassement est une douleur, une "double peine" dont il ne se relève pas. "Apolitique", il est là "parce qu'il faut que Macron démissionne. On ne reste pas quand on est si bas dans les sondages". Plus que la hausse du prix du carburant, dont personne ne vous parle spontanément, le rejet de l'homme, "hautain", comme de sa politique, "pour les riches", est bien le dénominateur commun des gilets jaunes : "On n'en a jamais voulu, il n'est pas légitime", vous dit-on dans chaque petit groupe. "Elle est morte, notre République, elle est morte", assène ainsi Bernard, sexagénaire du Canet (14e arr. de Marseille), "plutôt de gauche". Dans l'urne du second tour, cet ingénieur social à la retraite avait glissé : "Le roi est mort, vive le roi". Son gilet sur le dos, il en réclame tout au moins la chute.