INTERVIEW« Shaïna est morte pour rien… » Avant le procès, son frère se confie

Assassinat de Shaïna : « Ma sœur est morte pour rien… » Avant le procès, son grand frère se confie

INTERVIEWAlors que le procès pour l’assassinat de Shaïna s’ouvre ce lundi devant la cour d’assises des mineurs de Beauvais, son frère, Yasin Hansye, s’est confié à « 20 Minutes ».
Yasin Hansye et sa petite sœur Shaïna.
Yasin Hansye et sa petite sœur Shaïna. - Yasin Hansye / Collection personnelle
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • A partir de ce lundi et pour toute la semaine se tient, aux assises des mineurs de Beauvais, le procès du jeune homme soupçonné d’avoir assassiné Shaïna en 2019.
  • Au moment des faits, l’accusé avait 17 ans. Il sortait depuis quelques semaines avec Shaïna, une adolescente de 15 ans. Les investigations ont permis d’établir qu’elle venait de découvrir qu’elle était enceinte.
  • Son frère, Yasin Hansye, aujourd’hui âgé de 25 ans, se confie à 20 Minutes.

La voix de Yasin Hansye est douce, presque paisible. Seuls ses yeux noirs perçants rappellent les tourments de sa vie. Il y a trois ans et demi, sa petite sœur Shaïna, alors à peine âgée de 15 ans, était poignardée et brûlée vive quelques jours après avoir découvert sa grossesse. Son petit ami de l’époque, principal suspect dans l’affaire, est jugé à partir de ce lundi et pour toute la semaine devant la cour d’assises des mineurs de Beauvais. Le procès se tiendra très vraisemblablement à huis clos, car l’accusé avait 17 ans au moment des faits. Pour 20 Minutes, Yasin Hansye, âgé de 25 ans, se confie.

Comment vous sentez-vous à la veille de ce procès ?

Ça fait trois ans qu’on attend ce moment, donc forcément, il y a une forme d’impatience. On veut connaître la vérité même si, nous, on s’est déjà fait notre avis. Le dossier est parlant, il y a beaucoup d’éléments. Avec mes parents, on a la certitude que c’est lui qui l’a tuée. On s’est préparé à ce qu’il puisse nier, mentir ou se taire ; il l’a fait pendant toute l’instruction, pourquoi ne le ferait-il pas à nouveau ?

On me demande parfois si j’ai peur de croiser son regard. Non, je n’ai pas peur, c’est lui qui est dans le box, pas moi. Je veux que la peine soit exemplaire, 30 ans ou la perpétuité. Car lui, quand il sortira, il pourra refaire sa vie. Ma sœur, elle est six pieds sous terre. J’espère qu’on ne sera pas une nouvelle fois déçu par la justice.

Que voulez-vous dire par là ?

En 2017, quand Shaïna a franchi la porte du commissariat après le viol collectif dont elle venait d’être victime, elle n’a pas été prise au sérieux [la policière qui a recueilli son témoignage a notamment annoté en majuscule « ne manifeste aucune émotion particulière ». Les faits ont été requalifiés en agression sexuelle en réunion.]

Dans cette affaire, le principal suspect, son ex-petit ami, avait l’interdiction de revenir à Creil. Non seulement il était toujours là, mais il l’a agressée en pleine rue [le procès n’a pas encore eu lieu]. Ma sœur est morte à cause d’une réputation, alors qu’elle faisait confiance à la justice. Elle a fait tout ce qu’il fallait faire, elle n’aurait pas pu faire plus.

Craignez-vous, avec le procès, de vous replonger dans vos souvenirs ?

Ce sera toujours là, même dans dix, vingt, trente ans. Evidemment, à un moment, il faudra tourner la page. J’aimerais pouvoir faire ma vie aussi, avoir une famille, mais je penserai toujours à Shaïna, je n’oublierai jamais ces moments-là. Cette affaire a volé ma jeunesse, ma légèreté, ce sera toujours dans un coin de ma tête.



Le 26 octobre 2019, lorsque vous constatez que votre sœur n’est pas dans sa chambre au petit matin, avez-vous tout de suite compris qu’il se passait quelque chose de grave ?

Avec mes parents, on est très inquiets, mais on ne s’imagine pas ce qu’il vient de se passer. On l’appelle des dizaines de fois sur son téléphone, mais ça coupe directement, il n’y a même pas de sonnerie. On va au commissariat pour qu’ils déclenchent une alerte-enlèvement ou quelque chose dans le genre, mais on nous dit qu’elle est partie volontairement, que c’est sûrement une fugue et qu’ils ne peuvent rien faire avant 48 heures. On a beau argumenter, leur dire que ma petite sœur a eu des problèmes dans le quartier, qu’elle est la cible de harcèlement, ils ne veulent rien entendre, alors qu’elle n’a que 15 ans. Alors on commence à s’organiser, on appelle sa meilleure amie, on fait des rondes, on montre sa photo dans le quartier et même les villes autour. Des amis et de la famille nous aident. Le soir, je mets un message sur les réseaux sociaux.

Ce jour-là, votre mère trouve un test de grossesse positif dans un sac de Shaïna…

Paradoxalement, ça nous rassure un peu. On se dit qu’elle est peut-être chez ce garçon. Ma mère rappelle Shaïna, laisse un message en disant qu’elles en discuteront à son retour, de ne pas s’inquiéter. Mais le téléphone sonne toujours bizarrement et le soir, il se met à pleuvoir des cordes et on n’a toujours pas de nouvelles. Ça a été une des plus longues nuits de ma vie.

Comment avez-vous appris son décès ?

Le lendemain matin - c’était un dimanche - on reprend nos recherches, on fouille partout, on appelle tout le monde. En fin d’après-midi, je reçois beaucoup de messages qui disent qu’ils ont retrouvé le corps d’une fille calcinée. C’était pas très loin de chez nous, mais je ne connais pas le lieu. Un des messages me parle d’une rumeur qui circule : la victime aurait été tuée par son copain parce qu’elle était enceinte. A ce moment-là, je fais le lien avec le test qu’on venait de trouver…

Vous avez décidé de médiatiser l’histoire de votre sœur. Pourquoi cette démarche ?

Shaïna est morte pour rien, victime de rumeurs. Il y a eu un acharnement sur ma sœur. Parler d’elle, c’est montrer qui elle était réellement, faire vivre sa mémoire, mais également raconter les dysfonctionnements auxquels on a fait face.

Je suis quelqu’un de très croyant, plus encore depuis ce qu’il s’est passé, ça m’a beaucoup aidé à tenir. La médiatisation est venue tardivement, mais j’ai vraiment eu le sentiment que Dieu m’avait entendu. Maintenant, Shaïna est dans le cœur des Français alors que certains se sont acharnés à détruire sa réputation. Tout le monde a découvert son calvaire. Dans le quartier, après l’affaire, il y a eu beaucoup de solidarité, mais on entendait quand même des gens dire « elle l’a bien cherché, elle était provocatrice ». Si certains le pensent encore, ils ne le disent pas publiquement.

Il y a quelques mois, une cagnotte, lancée par le média en ligne Vakita, a permis de récolter près de 40.000 euros pour votre famille. Comment avez-vous vécu cela ?

C’était incroyable, je ne m’attendais pas à tant de solidarité. C’était une période très difficile, on ne s’en sortait pas vraiment. Avant l’affaire, ma mère, mon père et moi étions tous les trois en CDI, mais on a tous traversé une période de dépression. Mes parents ne travaillent plus. Moi, je suis en intérim mais j’ai des périodes de chômage. Cette cagnotte, en décembre dernier, nous a permis de nous concentrer un peu plus sur le combat judiciaire qui nous attendait.

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