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« La moitié des conducteurs non assurés a moins de 30 ans », alerte le Fonds de garantie des victimes

INTERVIEW - Julien Rencki, directeur général du Fonds de garantie des victimes, alerte sur le fléau de la non-assurance routière, dont il dévoile en exclusivité le baromètre annuel et évoque les conséquences parfois lourdes.

Juliette Demey , Mis à jour le
Julien Rencki, directeur général du Fonds de garantie des victimes.
Julien Rencki, directeur général du Fonds de garantie des victimes. © JDD

Le Fonds de garantie des victimes (FGV) dévoilera mercredi son baromètre annuel de la non-assurance routière. L’an dernier, 8 443 victimes ont été blessées, parfois lourdement, et 157 personnes sont décédées dans un accident routier provoqué par un conducteur en défaut d’assurance. En cinq ans, la part des non-assurés dans les accidents corporels (5 %, soit 4 114 conducteurs) a bondi de 44 % en cinq ans. Or la moitié d’entre eux a moins de 30 ans, alerte Julien Rencki, le directeur général du Fonds de garantie des victimes.

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Tout conducteur de véhicule, y compris de trottinette électrique, a pourtant l’obligation de souscrire une assurance de responsabilité civile pour couvrir les dommages qu’il pourrait causer à des tiers. À défaut, en cas d’accident, le Fonds de garantie des assurances obligatoires (branche du FGV) indemnisera les victimes, mais se retournera ensuite contre l’auteur pour lui réclamer ces sommes. Malgré ces risques, certains font l’impasse. Julien Rencki livre des pistes d’action pour endiguer ce fléau.

Pourquoi avez-vous souhaité un focus sur les jeunes ?
Si l’on dresse le portrait-robot du non-assuré, il s’agit d’un homme (à 80 %), jeune, ayant des revenus nuls ou faibles. Un non-assuré sur deux a moins de 30 ans ! La part des étudiants non assurés a bondi de 30 % en cinq ans. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons constitué un groupe de travail avec l’ensemble des parties prenantes et fait réaliser une étude auprès d’un millier de jeunes.

« La non-assurance est le pire des paris. »

Est-ce un phénomène marginal ?
Pas vraiment : selon cette enquête inédite, 14 % des 18-30 ans reconnaissent avoir déjà conduit sans être assurés. Un de ces jeunes explique, par exemple, qu’il a acheté une vieille voiture bon marché et ne s’est pas assuré, mais qu’il compte le faire pour sa prochaine « belle » voiture. Cela dénote une incompréhension totale du sens de l’assurance de responsabilité civile, dont le but est d’indemniser les dommages qu’on peut causer aux autres.

La raison est-elle d’abord financière ?
Avec l’insuffisante compréhension du rôle de l’assurance obligatoire, le coût est la deuxième cause identifiée. 52 % des jeunes non assurés ont peu ou pas de revenus : étudiants, chômeurs, en emploi précaire… Une assurance responsabilité civile coûte en moyenne 1 000 euros par an pour un conducteur novice. Un montant élevé, logique du point de vue des assureurs, puisque les jeunes causent plus de sinistres que les autres ; mais néanmoins deux fois plus élevé en moyenne que pour les conducteurs expérimentés ! Or celui-ci s’ajoute aux dépenses pour le permis, l’acquisition du véhicule et l’essence, dans une période de la vie où les revenus sont souvent faibles. Avec un budget de plus en plus serré à cause de l’inflation, certains jeunes font l’impasse sur l’assurance. Un arbitrage regrettable et surtout dangereux.

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Le défaut d’assurance va-t-il de pair avec d’autres comportements délinquants ?
Pour une minorité significative des jeunes concernés, il s’accompagne d’autres violations du Code de la route, à commencer par la conduite sans permis, qui concerne 41 % des jeunes non assurés auteurs d’accidents. À cela peut s’ajouter la conduite sous l’emprise d’alcool, qui concerne 20 % des jeunes non assurés, ou de stupéfiants (27 %).

Quelles sont les conséquences ?
Le conducteur non assuré risque une amende forfaitaire de 750 euros, qui peut grimper à 3 500 euros en cas de récidive. S’il cause un accident, les conséquences peuvent être très lourdes. Je pense bien sûr d’abord aux victimes. Elles vont être prises en charge par le Fonds de garantie, qui a versé 107 millions d’euros d’indemnisation en 2022. Nous nous retournons ensuite contre le conducteur non assuré pour lui réclamer les sommes versées. Actuellement 15 000 personnes font l’objet de telles poursuites. Les indemnisations peuvent atteindre des montants très élevés et les auteurs sont parfois peu solvables. L’essentiel du coût de la non-assurance est donc supporté par la collectivité, via la taxe sur les contrats d’assurance auto, qui finance le Fonds.

Jusqu’où s’élèvent ces indemnisations ?
De quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs millions d’euros selon l’âge de la victime et la gravité des blessures… Souvent, le jeune n’est pas un délinquant routier endurci, mais un conducteur imprudent. Parce qu’il a fait le choix inconsidéré de « faire l’impasse » sur l’assurance, c’est contre lui que nous allons exercer notre recours. Quitte, et c’est navrant, à obérer gravement son avenir économique ! D’où le message de notre prochaine campagne ciblant les jeunes : « La non-assurance est le pire des paris. »

Quels sont les leviers d’action ?
Commençons par mieux « éduquer » les jeunes à l’assurance. La non-assurance est un enjeu social, lié à la mobilité et à l’insertion professionnelle. Elle doit être menée avec tous les acteurs, notamment la prévention routière, les assureurs, les structures de formation et d’accompagnement des jeunes – comme les missions locales, avec lesquelles nous sommes en train de construire un partenariat. Autre mesure que nous défendons : introduire une obligation d’information sur l’assurance, à la charge des vendeurs professionnels de véhicules (y compris les trottinettes). Un marquage spécifique pourrait aussi figurer sur tous les véhicules soumis à une obligation d’assurance.

Pour rendre l’assurance plus accessible aux jeunes, doit-on réviser le mécanisme de la surprime ?
Aujourd’hui, les assureurs peuvent majorer la prime de manière importante : 100 % la première année, 50 % la deuxième et 25 % la troisième. Nous appelons à une réflexion sur une révision de ce mécanisme, mais c’est à l’État, en concertation avec les assureurs, d’en décider.

Pourquoi pas des aides publiques pour les jeunes ?
Des aides à la mobilité et au permis existent mais, à ma connaissance, elles ne prennent pas en compte l’assurance. Il y a donc une réflexion à mener, là aussi, pour mettre fin à cet angle mort. Notre étude souligne aussi l’importance de bien distinguer, dans les offres d’assurance, ce qui relève de la garantie obligatoire ou de garanties facultatives. On peut enfin agir sur le coût en réduisant le risque, donc en améliorant la conduite des jeunes. Développer la conduite accompagnée, les formations postpermis, ou les innovations du type « Pay how you drive », qui offrent des tarifs modulés selon la qualité de la conduite.

Faut-il plus de répression, comme au Royaume-Uni ?
La prévention ne peut pas tout. La France dispose désormais, avec le fichier des véhicules assurés (FVA), d’un outil permettant de vérifier de façon fiable et rapide si une voiture est assurée. Les forces de l’ordre l’utilisent d’ores et déjà lors des contrôles de bord de route.

Pour accroître les contrôles, le fichier des véhicules assurés pourrait-il être couplé avec le système de lecture automatique des plaques d’immatriculation, utilisé par les radars automatiques ?
Cela pourrait être envisagé, mais cela relève d’une décision politique. Le renforcement des contrôles sera d’autant mieux accepté qu’il s’accompagnera d’initiatives pour faire mieux comprendre le sens de l’assurance obligatoire et la rendre plus accessible pour les jeunes.

Un boom des indemnisations de victimes de trottinettes

Un bond de 96 % ! En 2022, le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) a indemnisé 1 800 personnes victimes d’un accident causé par un « engin de déplacement personnel » (trottinette électrique, gyropode…) dont le conducteur n’était pas assuré. Si les chiffres restent faibles en valeur absolue, cette progression inquiète, en raison du taux de non-assurance de ces véhicules, qui pourrait être très élevé.

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