urbanismePourquoi Paris ne poussera plus au-delà de 37 m en hauteur

Pourquoi Paris ne poussera plus au-delà de 37 m en hauteur

urbanismeDans le nouveau plan local d’urbanisme que Paris met au vote ce lundi, l’exécutif renonce aux constructions en hauteur, mais augmente les possibilités de surélever les immeubles dans les rues larges
Vue générale panoramique sur Paris et la région parisienne depuis la tour Montparnasse. (Illustration)
Vue générale panoramique sur Paris et la région parisienne depuis la tour Montparnasse. (Illustration) - A. GELEBART  / 20 MINUTES
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Un nouveau plan local d’urbanisme est mis au vote du conseil municipal à Paris ce lundi, après des mois de tractations qui ont divisé la majorité.
  • Le compromis trouvé acte la fin des grands immeubles de 50 ou plus de 100 mètres de hauteur, mais étend les possibilités de surélever des immeubles dans les rues de plus de 12 mètres, pour y créer du logement social.
  • Ce nouveau PLU va favoriser la transformation du bâti plutôt que la construction. « On peut, pour la durée d’un PLU, envisager avec enthousiasme un projet de ville qui prend le déjà-là comme ressource première, et qui pour autant change profondément la ville », se réjouit l’architecte Jacques Ferrier.

C’est un vieux débat, qui prend un tournant radical. Avec le nouveau plan local d’urbanisme, qui doit être voté ce lundi par le Conseil de Paris, la ville va limiter la hauteur des bâtiments pouvant être construits. Alors que le règlement actuel autorise des constructions allant jusqu’à 180 m en périphérie de la ville, aucun nouveau projet ne pourra désormais dépasser 37 m. C’est en quelque sorte une page qui se tourne définitivement sur l’ère des grands projets de hauteur, lancés par l’ancien adjoint à l’urbanisme Jean-Louis Missika, avec en emblème la très contestée Tour Triangle, 180 mètres de hauteur, dont les travaux ont commencé en 2022.

L’enjeu se situait en périphérie, et notamment sur les quartiers de Bruneseau (13e arrondissement de Paris) et Bercy-Charenton (12e arrondissement de Paris), où des grandes tours avaient un temps été envisagées. Car au centre de Paris, la limite est depuis longtemps à 31 m, voire 25 ou 18 m « Si on se replace dans l’Histoire, Paris n’a jamais vraiment utilisé la hauteur pour faire sa densité. La ville est plafonnée partout à la même hauteur, il n’y a que très peu de tours intramuros », relativise auprès de 20 Minutes Franck Boutté, qui dirige un atelier d’ingénierie environnementale et a reçu en 2022 le Grand Prix de l’urbanisme.


En orange foncé, la limite de hauteur de 37 mètres imposée à Paris dans le cadre du nouveau PLU.
En orange foncé, la limite de hauteur de 37 mètres imposée à Paris dans le cadre du nouveau PLU. - Mairie de Paris

La hauteur maximale de 37 mètres autorisée par endroits date des années 1970, époque où l’on a bâti à tours de bras. En 2010, une nouvelle réglementation vient percer ce plafond, autorisant des tours d’habitation de 50 mètres maximum et des tours de bureaux jusqu’à 180 mètres de hauteur, par endroits. « On s’est dit que Paris était ringard, qu’il fallait faire des grandes tours, dans un contexte de compétition avec la City [londonienne], et alors que la gauche socialiste strauss-kahnienne domine », explique Emile Meunier, élu écologiste qui a bataillé pour ce nouveau PLU.

Des surélévations pour faire du logement

Si le nouveau texte acte la fin des grands immeubles - un « tournant à 180 degrés » selon Bernard Landau, architecte voyer honoraire de la Ville de Paris - il autorise néanmoins plus de surélévations qu’avant, pour les rues dont la largeur est supérieure à 12 mètres, dans la limite de 37 mètres de hauteur et pour y construire du logement seulement. « A partir du moment où on interdit quasiment toute construction au sol il faut bien faire du logement, et notre piste c’est la transformation du bâti », explique Emile Meunier, qui pense que ces surélévations se feront avec parcimonie et assorties de contraintes écologiques, puisque selon les écologistes les surélévations pourront être conditionnées à l’amélioration des qualités environnementales du bâtiment.

« Cela fera quelques milliers de logements en plus », complète Jacques Baudrier, adjoint chargé de la transition écologique du bâti et de la construction, qui estime que ces surélévations pourraient concerner 1 % des bâtiments parisiens. « On ne s’est pas battus pour aller au-delà de 37 mètres de hauteur parce qu’il nous est apparu plus important de pouvoir surélever, cela fait beaucoup plus de logements », ajoute l’adjoint communiste, pour lequel la production de logement social est une priorité des priorités.

Les bâtiments hauts sont-ils moins écolos ?

Des surélévations possibles mais une hauteur limitée, voilà le compromis trouvé par la majorité, qui a permis de rassembler tout le monde. Le groupe écologiste demandait depuis des années que la hauteur soit limitée, une véritable « obsession » pour leurs détracteurs, qui a des raisons écologiques, selon Emile Meunier. Les consultations menées par le groupe écologiste montreraient qu’au-dessus de 30 m, il serait plus compliqué de faire de l’architecture bioclimatique. A cette hauteur, explique l’élu, « vous consommez beaucoup plus d’énergie tant dans la conception de l’immeuble que dans sa vie d’immeuble. Plus un immeuble est haut plus on déplace de gens et de fluides et la surface en contact avec l’air est également plus grande ».

Une conception partagée par Bernard Landau, qui affirme que « les bâtiments très hauts sont plus énergivores, leur bilan carbone est moins bon ». Mais pas par tout le monde. « Les constructions hautes impliquent plus de matière et nécessitent une consommation d’énergie plus importante pour monter et descendre les fluides, les personnes… Mais pour être plus juste, il faudrait comparer des objets comparables : si on compare un bâtiment de 60 m de haut par rapport à un bâtiment de 30 m, évidemment il faut plus de matière pour le bâtiment de 60 m, mais en fait il faut le comparer à deux bâtiments de 30 m, et alors du point de vue de l’emprise au sol, ou des infrastructures nécessaires à l’approvisionnement de ces objets par exemple, on comprend bien que la comparaison se complique », estime Franck Boutté, pour lequel « il y a beaucoup de fantasmes sur la question de la hauteur » et « pas d’étude scientifique sérieuse sur le sujet ».

D’autres raisons expliquent le choix des écologistes. « Paris est déjà pleine comme un œuf, il est hors de question de la densifier, Les Parisiens n’en peuvent plus. C’est la ville la plus dense d’Europe du point de vue de l’humain et du bâti, il faut savoir dire stop. Il faut arrêter de faire des mètres carrés à tout prix », estime Emile Meunier. Une conception partagée par Christine Nedelec, présidente de France Nature Environnement Paris, qui estime que « c’est une aberration de vouloir empiler les gens aux mêmes endroits ».

Un « PLU de transformation »

Les villes européennes, confrontées aux impératifs de la crise climatique, vont-elles encore grandir en hauteur ? Certains, à l’instar de Bernard Landau, estiment que ce n’est pas leur avenir, tant pour des raisons patrimoniales qu’écologiques. D’autres, comme Franck Boutté, ne sont pas d’accord, estimant primordial dans une ville comme Paris de libérer de la pleine terre, sur un sol très densément occupé, avec très peu d’espace libre. « Si on veut libérer le sol et permettre à des sujets végétaux de s’enraciner sans perdre en densité idéalement il faudrait monter », pense l’ingénieur.

Un discours qui apparaît comme purement « théorique » à Jacques Baudrier, qui refuse de démolir des immeubles et d’expulser des gens. Puisqu’on ne peut selon lui ni détruire ni construire, mais qu’il est quand même essentiel de produire du logement dans une ville où l’essentiel est construit, l’exécutif a donc acté que le nouveau PLU serait avant tout un « PLU de transformation », comme le résume Emmanuel Grégoire. « Aujourd’hui la construction va être l’exception, la règle la transformation. On ne détruira plus, car on perdra trop de mètres carrés », abonde Emile Meunier, alors qu’une règle prévoit que chaque parcelle au-dessus de 150 m2 devra inclure jusqu’à 65 % de pleine terre au sol. « On a créé une incitation à transformer l’existant », se réjouit l’élu écologiste, qui se dit « fier du travail accompli collectivement ».

Une perspective qui réjouit également l’architecte Jacques Ferrier, qui nous a transmis ce commentaire à propos du nouveau PLU : « Dans les centres urbains hyperdenses comme Paris, soyons audacieux : ne construisons plus ! On peut, pour la durée d’un PLU, envisager avec enthousiasme un projet de ville qui prend le déjà-là comme ressource première, et qui pour autant change profondément la ville. Loin de voir cela comme une limite à la créativité, j’y vois au contraire une opportunité pour faire un pas de côté et s’affranchir de la tyrannie du toujours neuf. »

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