Corse : le processus d’autonomie fait les frais de la réforme des retraites

Les négociations, au point mort depuis des mois, devraient reprendre. Mais le positionnement des députés nationalistes au sein du groupe Liot rend le climat glacial avec le gouvernement.

De notre correspondant à Bastia,

Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin et le préfet de Corse Amaury de Saint-Quentin à Corte (Haute-Corse), le 19 février 2023.
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin et le préfet de Corse Amaury de Saint-Quentin à Corte (Haute-Corse), le 19 février 2023. © Pascal Pochard-Casabianca/AFP

Temps de lecture : 4 min

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La scène se déroule un soir de mai, dans les travées clairsemées de l'Assemblée nationale, et elle en dit long sur les relations entre l'exécutif et les parlementaires nationalistes corses. Le député Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) de Haute-Corse Michel Castellani interroge le gouvernement sur un thème a priori peu sujet à controverse : les moyens de lutte contre les incendies dans l'île. « Je vois que personne ne m'écoute sur le banc, ce qui est extraordinairement désagréable », s'agace, au micro, le député nationaliste, en raison de l'attitude des ministres qui, estime-t-il, ne font même pas semblant de l'écouter.

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La ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité, Dominique Faure, ne s'embarrasse pas de tergiversations pour donner la position de l'exécutif sur l'amendement du parlementaire, à travers un laconique et nonchalant « défavorable ». « Les relations se sont un peu tendues », commente sobrement Michel Castellani auprès du Point. C'est sans doute le moins que l'on puisse dire.

Depuis le 20 mars, date à laquelle une motion de censure déposée par le groupe Liot, auquel appartiennent les trois députés nationalistes, a failli faire chuter le gouvernement à la suite de l'utilisation du 49.3 sur la réforme des retraites, le climat est devenu glacial. « On a senti un changement d'attitude très net du côté de l'exécutif et de la majorité », confie un proche du pouvoir autonomiste. Les choses ne sont pas près de s'arranger, tant le groupe Liot continue de donner des sueurs froides au gouvernement.

Il espère encore réunir, le 8 juin, une majorité de députés autour d'une proposition de loi visant à abroger la mesure phare de la réforme de l'exécutif : le report de l'âge légal de départ à 64 ans. De quoi nourrir le ressentiment du camp présidentiel à l'endroit de ce petit groupe parlementaire et des députés nationalistes en particulier, à l'heure où le processus de Beauvau, au point mort depuis des mois, peine à retrouver un élan.

« On est dans le registre du chantage »

« On ne peut pas, d'un côté, solliciter des négociations pour aller vers l'autonomie de la Corse et, de l'autre, s'acharner à vouloir faire tomber le gouvernement avec lequel on discute, peste un conseiller ministériel. Cette attitude assez déloyale n'aide pas à créer un climat de confiance. » Le quatrième représentant de l'île à l'Assemblée nationale ne dit pas autre chose.

Seul élu corse de la majorité, le député d'Ajaccio et président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, va même plus loin. Il n'hésite pas à mettre en garde ses collègues nationalistes quant à une « opposition frontale » qui pourrait contrarier le processus : « Si on est dans une crise politique et que le gouvernement tombe, explique-t-il, l'avenir de la Corse, à travers la réforme qu'ils appellent de leurs vœux, me semble moins certain. »

À LIRE AUSSI Réforme des retraites : l'épreuve de l'applaudimètreEn coulisses, pourtant, les tractations vont bon train. Des indiscrétions font état de « pressions amicales » envers l'exécutif autonomiste, aux commandes de l'île, pour tenter d'infléchir la position des trois élus nationalistes à la Chambre basse. « On est très clairement dans le registre du chantage, estime un proche du pouvoir insulaire. On nous explique que le président Macron a été froissé par le positionnement de nos députés et qu'un changement de braquet pourrait avoir lieu dans les négociations. »

Des négociations, ouvertes en mars 2022 sur fond de tensions dans l'île après l'agression mortelle de l'indépendantiste Yvan Colonna, et qui, du reste, n'ont jamais véritablement commencé. Les résultats des législatives, qui avaient privé l'exécutif d'une majorité à l'Assemblée nationale, ont compromis la perspective d'une grande réforme constitutionnelle dont est censé sortir le nouveau statut de la Corse. Sans compter les passes d'armes autour de la libération des « prisonniers politiques » nationalistes et un climat délétère dans l'île, sur fond de reprise des attentats clandestins, qui n'ont jamais cessé de perturber ce processus.

« Vive inquiétude »

Résultat : en quinze mois, seules trois réunions ont eu lieu entre les élus corses et le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, chargé par l'Élysée de conduire ces discussions « à vocation historique », pouvant déboucher sur un statut d'autonomie. Le 24 mai, le quatrième « comité stratégique » sur l'avenir de l'île a été ajourné pour la deuxième fois pour des raisons liées à l'agenda du ministre.

Si, officiellement, aucune rupture n'est intervenue entre l'exécutif et les élus insulaires, ces derniers ne cachent plus leurs craintes. La conférence des présidents de l'Assemblée de Corse, instance réunissant toutes les forces politiques de l'hémicycle régional, a exprimé dans un communiqué sa « vive inquiétude sur le devenir du processus », à l'annonce de ce énième report. Leurs craintes sont d'autant plus vives que le temps presse.

En février, Emmanuel Macron, qui s'était invité à la dernière réunion Place Beauvau, avait en effet annoncé un calendrier contraint en demandant aux élus corses de remettre leur copie d'ici le 14 juillet. Date à laquelle le chef de l'État prévoyait d'annoncer le lancement d'une grande réforme des institutions.

« L'horloge tourne et on ne peut que se demander si le gouvernement ne cherche pas à gagner du temps », grince un pilier du camp nationaliste, qui s'interroge sur la « sincérité » de l'exécutif. Sous la pression des élus, la date du 7 juin a finalement été annoncée pour une reprise des discussions, à Paris. À force de contretemps, le doute quant à la tenue de cette réunion persistera jusqu'à la dernière minute…

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Commentaires (8)

  • Un Pingouin contre le Chaos

    Plutôt que l'autonomie à la seule Corse, décentralisons réellement le pays et donnons à chaque Région les mêmes compétences, droits et devoirs. La Corse n'a pas à être traitée différemment de la Bretagne et du Grand Est.

  • navrre

    Allons au-delà de l'autonomie : donnons son indépendance à la Corse, mais sans un rond de mes impôts hein !

  • dizul

    Ce n'est pas l'autonomie qu'il faut leur donner. C'est l'indépendance totale ! Bref, l'autosuffisance. Et là, on va se marrer.