LES PLUS LUS
Publicité
International

Birmanie : l’emprise de l’armée se desserre

ASIE. Emprisonnée, Aung San Suu Kyi, leader de l’opposition démocratique, devrait être placée en résidence surveillée. La junte militaire a également annoncé l’amnistie de 3 300 détenus.

François Dupuis
Combattants des Forces de défense du peuple Karen.
Combattants des Forces de défense du peuple Karen. © KNU

Une vague de chaleur : c’est le prétexte trouvé par la dictature birmane pour annoncer le transfert de l’ancienne chef du gouvernement (ainsi que celui de l’ancien président Win Myint), âgée de 78 ans, des geôles où elle se trouvait retenue, vers un lieu où elle doit « recevoir des soins en raison de la canicule ». D’humeur généreuse et à l’occasion du Nouvel An birman, la junte a également annoncé, via son porte-parole, Zaw Min Tun, la libération de 3 300 prisonniers et une réduction d’un sixième de leur peine pour tous les autres.

Publicité
La suite après cette publicité

Il y a deux ans, la « Dame de Rangoun » avait été condamnée, au terme d’un simulacre de procès, pour corruption, possession de talkie-walkie et non-respect des règles liées au Covid. Partiellement graciée l’année suivante, sa peine étant ramenée à vingt-sept ans de prison, elle n’est pas réapparue en public, son état de santé s’étant probablement dégradé au complexe pénitentiaire de Naypyidaw, la capitale fantôme construite en 2005 par le général Than Shwe, alors chef de l’État, à l’aide de l’avis éclairé de ses astrologues…​

Au mois de février, le fils de celle qui avait reçu le prix Nobel de la paix en 1991 dénonçait d’ailleurs avec virulence les conditions d’incarcération de sa mère, détenue dans des baraquements en béton suintant l’humidité et dépourvus de système de climatisation. Mais, depuis quelques mois, l’emprise territoriale de l’armée sur le territoire national décroît et, qui plus est, semble être vouée à se rétrécir davantage.

Au mois de janvier, Tatmadaw, surnom donné à l’armée birmane, a perdu le contrôle de Laukkai, une ville moyenne à la frontière chinoise, à l’est du pays, puis, la semaine dernière, celui de Myawaddy, prise par l’Union nationale karen, une commune de 200 000 habitants bordant la Thaïlande voisine.

Selon Bénédicte Brac de La Perrière, chercheuse au CNRS, anthropologue et spécialiste du Myanmar, « le régime est soumis à une pression énorme, les forces ethniques se positionnent sur des territoires qu’ils considèrent être les leurs et préparent l’après. Enclavé dans le pays utile au centre de la Birmanie, l’État militaire est coupé de ses voisins, les routes allant jusqu’en Chine, en Inde et en Thaïlande étant désormais tenues par la rébellion. Les voies de communication entre les trois centres du pouvoir que sont Naypyidaw, Rangoun et l’académie militaire de Pyin U Lwin fonctionnent toujours, mais sont fréquemment attaquées ».

La suite après cette publicité

Par ailleurs, confronté à une crise de recrutement, le régime a dû mettre en œuvre le service militaire obligatoire au début du mois de février, provoquant le départ de milliers de jeunes vers la Thaïlande ou les poussant à prendre le maquis. Comme le note Bénédicte Brac de La Perrière, « avant le coup d’État, l’armée se prévalait d’un effectif, vraisemblablement surévalué, de 300 000 hommes, un chiffre tombé aux alentours de 130 000 à l’heure actuelle. Ils ont même essayé de recruter, sans succès, les femmes de militaires pour compléter leurs rangs ».

Un régime aux abois​

Composé de 135 ethnies différentes, le Myanmar est la mer idéale où le poison de la guérilla peut s’épanouir parmi la population. Massés dans la région des plaines centrales, les Bamas, ou Birmans ethniques, représentent 68 % de la population et sont le peuple dominant dont sont issus les membres de l’armée. Dans les montagnes, une foule d’ethnies, dont les plus importantes sont les Shan, les Karens et les Môn (9, 7 et 4 % de la population), a formé une centaine de milices différentes capables de bouter l’armée régulière hors de leurs territoires.

Depuis le mois d’octobre 2023, les guérillas ethniques se sont unies aux Forces de défense du peuple, organe militaire du gouvernement d’unité nationale, formé des membres de l’opposition, dont notamment la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, pour lancer l’opération 1027.

« L’Inde et la Chine veulent éviter que la Birmanie pays tombe dans la sphère d’influence de l’autre et discutent avec toutes les forces en présence »

De revers en revers, Tatmadaw n’occuperait plus qu’entre 30 et 40 % du pays, et ce malgré l’utilisation récurrente d’une aviation moderne de drones et de munitions sophistiquées face à des guérillas dépourvues d’armes lourdes et obligées de fabriquer elles-mêmes une partie de leurs munitions et même quelques drones artisanaux.

Selon une source diplomatique, « dans la région de Mandalay, zone traditionnelle de recrutement de l’armée, la rébellion progresse, des attaques de drones et de mortier ayant même touché la capitale. Le régime se distingue par la faiblesse de son narratif et a échoué économiquement, d’où son incapacité à rallier la haute fonction publique et les milieux d’affaires ». Par ailleurs, ses soutiens internationaux, excepté celui de la Russie, apparaissent assez timorés. Toujours selon cette source, « l’Inde et la Chine veulent éviter que le pays tombe dans la sphère d’influence de l’autre et discutent avec toutes les forces en présence. Quant à la Thaïlande, elle s’accommoderait de n’importe quel pouvoir stable ».

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Combattants des Forces de défense du peuple Karen.
International

Birmanie : l’emprise de l’armée se desserre

ASIE. Emprisonnée, Aung San Suu Kyi, leader de l’opposition démocratique, devrait être placée en résidence surveillée. La junte militaire a également annoncé l’amnistie de 3 300 détenus.

Publicité