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300 ans de Kant : que nous est-il permis d’espérer selon le philosophe ?

RÉFLEXION. Le tricentenaire de la naissance d’Emmanuel Kant nous incite à repenser sa doctrine et à interroger de nouveau la portée de son interrogation fondamentale : « Que m’est-il permis d’espérer ? » Plus qu’un sentiment, l’espérance kantienne se manifeste principalement comme un devoir.

Ayrton Morice Kerneven , Mis à jour le
Le philosophe Emmanuel Kant.
Le philosophe Emmanuel Kant. © Abaca

Dans un monde assailli par la violence, les conflits armés et l’accablante crise climatique, un voile de pessimisme s’étend sur l’humanité, engendrant une profonde mélancolie collective. L’horizon, autrefois vaste et illimité, semble aujourd’hui obstrué, l’avenir lui-même paraît brisé sous le poids des drames incessants. Cette crise de l’avenir pèse lourdement sur la conscience collective, tandis que la résilience — cette capacité à surmonter les adversités —se profile comme l’un des rares bastions de l’espoir dans notre monde contemporain.

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Cela nous conduit à revisiter la question philosophique intemporelle posée par Emmanuel Kant : « Que nous est-il permis d’espérer ? » Dans sa Critique de la raison pure, publiée en 1781, le philosophe allemand Emmanuel Kant explorait les grandes énigmes de la philosophie à travers trois questions fondamentales : « Que puis-je savoir ? », relevant de la métaphysique ; « Que dois-je faire ? », question de la morale ; et « Que m’est-il permis d’espérer ? »

Dans l’univers de Kant, l’espérance est loin d’être une abstraction désincarnée

Dans l’univers de Kant, l’espérance est loin d’être une abstraction désincarnée ou une vague aspiration. Le philosophe, en plaçant la raison au centre de sa réflexion, définit des contours précis à ce que nous sommes en droit d’espérer, dessine une espérance qui repose sur les exigences morales plutôt que sur des résultats empiriques ou des satisfactions immédiates. Il articule ce concept autour de l’idée que la raison nous guide et nous contraint à envisager ce qui est nécessaire pour donner un sens complet à notre existence.

Selon lui, la loi morale, qui réside en chacun de nous, nous incite inexorablement vers le bien. Cependant, dans notre monde où les circonstances peuvent ne pas toujours favoriser un tel alignement, Kant nous assure que l’espérance n’est pas vaine. Elle est, en effet, ce qui soutient l’engagement envers la vertu, dans la perspective où la vertu et le bonheur pourraient ultimement converger, sous la gouvernance d’une noble cause qui dépasse tout.

L’espérance kantienne n’est donc pas une simple consolation ou une échappatoire face aux rigueurs de la réalité. Elle est une nécessité rationnelle, un impératif qui découle directement de notre engagement envers la moralité. Kant nous invite à espérer non pas sur la base de preuves, mais sur celle d’une conviction éthique profonde, ancrée dans la nature même de l’action humaine et dans notre orientation vers le bien avant touche chose.

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Kant ne se contente pas de théoriser l’espérance ; il la rend applicable

Kant ne se contente pas de théoriser l’espérance ; il la rend applicable, insistant sur son rôle vital face aux défis éthiques et existentiels de la vie.

L’espérance kantienne se manifeste principalement à travers le concept du « devoir ». Pour Kant, agir moralement signifie agir selon une maxime que l’on pourrait vouloir ériger en loi universelle. Cette orientation vers l’universel confère à nos actions individuelles une portée qui dépasse notre propre existence. En espérant non seulement pour nous, mais pour l’humanité entière, nous contribuons à un monde où les principes moraux régissent les actions humaines. Ainsi, l’espérance devient un moteur encouragé par l’idée que chaque action vertueuse est une pierre à l’édifice d’un futur meilleur et plus juste.

Dans la sphère personnelle, cette espérance se traduit par une attitude de persévérance face aux épreuves et une foi inébranlable dans la capacité humaine à améliorer les conditions de vie. Cela signifie aussi espérer la réalisation du bonheur non comme un droit acquis, mais comme la conséquence naturelle d’une vie vertueuse. Kant nous suggère ainsi que notre engagement moral, bien qu’il ne garantisse pas le bonheur immédiat, oriente la vie vers une harmonie plus profonde où bonheur et vertu finiraient par coïncider.

Dans le contexte social, l’espérance kantienne encourage les individus à contribuer à la société de manière constructive. Elle inspire à œuvrer pour des institutions justes, à promouvoir l’équité et à lutter contre l’injustice. Cette dimension sociale de l’espérance est cruciale, car elle étend notre responsabilité au-delà de nos intérêts personnels pour englober le bien-être collectif. Elle encourage les individus à envisager leur rôle dans la société non seulement en termes de droits, mais surtout de devoirs.

De plus, Kant nous invite à espérer dans la possibilité d’une communauté mondiale où la paix perpétuelle serait le but ultime. Cet idéal, bien que lointain, guide les efforts présents en donnant un sens et une direction à l’action politique et sociale. L’espérance kantienne, loin d’être une abstraction, s’incarne dans chaque choix éthique, chaque décision juste, chaque acte de courage moral. Elle nous pousse à envisager notre existence comme un engagement actif envers un monde meilleur.

La vision de Kant n’est pas sans rencontrer des défis dans le contexte moderne

Bien que la vision de Kant sur l’espérance offre une perspective morale robuste et optimiste, elle n’est pas sans rencontrer des défis dans le contexte moderne. Les nuances de la réalité contemporaine peuvent parfois sembler en contradiction avec l’idéalisme kantien, ce qui soulève des questions pertinentes sur la viabilité de son application dans notre époque.

Un des principaux défis est le scepticisme croissant envers les idéaux universels. À une époque marquée par le relativisme culturel et l’individualisme, la notion d’une loi morale universelle — pierre angulaire de l’espérance kantienne — peut sembler dépassée voire même oppressive. Comment, dans une société pluraliste, peut-on promouvoir des principes universels sans écraser la diversité des perspectives individuelles et culturelles ?

En outre, la complexité des problèmes mondiaux actuels, comme les conflits internationaux, peut rendre l’espérance en une amélioration par des actions vertueuses individuelles insuffisante ou naïve. Ces enjeux demandent des solutions qui vont au-delà des capacités d’une seule personne et requièrent une coopération internationale et des interventions à grande échelle. Ainsi, l’idée kantienne que le bonheur résulte naturellement de la vertu peut paraître simpliste face à des problèmes si enracinés et complexes.

Cependant, même face à ces critiques, l’espérance kantienne offre des outils précieux pour aborder les dilemmes contemporains. En insistant sur l’importance de l’intention morale et de l’engagement éthique, Kant nous rappelle que chaque action compte et que la poursuite collective de principes moraux peut effectivement changer le cours des choses. Son appel à espérer non seulement pour soi-même mais pour le bien-être de tous peut servir de puissant antidote contre le cynisme et l’apathie.

L’espérance selon Kant nous incite à envisager un futur meilleur, pas seulement comme une possibilité, mais comme un impératif moral. En dépit de ses limites, elle demeure une boussole précieuse pour orienter nos actions, nous invitant constamment à agir non seulement avec prudence, mais avec espoir. En définitive, la seule question à se poser est : quelle sera ma prochaine bonne action ?

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