Dominique Faure : "On est sur des chemins de crête"

Poursuivant son tour de France, la ministre Dominique Faure a fait étape à Blois vendredi 19 avril, pour le congrès de l’Association des maires du Loir-et-Cher. L’occasion pour elle de prendre le pouls des territoires et de répondre aux nombreux sujets d’inquiétude des élus : ZAN, accès aux soins, état des finances publiques, carte scolaire… L’occasion, aussi, de lever le voile sur une évolution du dispositif France ruralités revitalisation, sur son projet de loi portant statut de l’élu ou encore sur son "agenda territorial V2" qui pourrait voir le jour fin juin. 

Venue participer au 65e congrès de l’Association des maires de Loir-et-Cher à Blois – paradoxalement l’une des deux seules communes du département à ne pas en être adhérentes –, Dominique Faure assurait ce 19 avril son 130e déplacement de ministre. Le troisième de la semaine après les Deux-Sèvres et l’Isère. Série en cours. "J’ai encore 30 à 35 départements à visiter", confie-t-elle, en ajoutant qu’elle aime à revenir deux ou trois fois au même endroit. "Je suis beaucoup sur le terrain. J’aime cet exercice." Aisément accessible, se montrant à l’écoute, elle y est à l’aise : "Je suis une des vôtres, toujours", rappelle-t-elle d’emblée aux édiles. Devant son auditoire du jour, elle a choisi d’évoquer "trois sujets au cœur des préoccupations" : le zéro artificialisation nette (ZAN) ; l’accès aux soins ; la réforme des zones de revitalisation rurale. Avant d’être interpellée sur différents sujets, auxquels elle a répondu avec un "parler vrai" salué par la presse locale.

Le ZAN, premier au box-office national

Le ZAN, la ministre le reconnaît auprès de Localtis, c’est le sujet incontournable du moment. En témoigne le vote la veille du Sraddet révisé de la région Centre-Val de Loire afin de l’adapter aux nouveaux canons de la lutte contre l’artificialisation des sols. Jugeant l’objectif de 2030 "raisonnable, sain", elle concède que la difficulté, "c’est le comment". En l’espèce, si Dominique Faure déclare "s’être bagarrée avec les sénateurs pour avoir ce 1 hectare" de 'garantie rurale'" (v. notre article du 26 juin 2023) – "On ne peut pas condamner un village à rester petit parce qu’il a peu consommé historiquement" –, elle souligne que "la solution n’est jamais à la maille de la commune, mais d’un bassin de vie, d’une intercommunalité, d’un département… On ne peut pas lutter de façon isolée". Jugeant la "période extrêmement intéressante", elle se dit convaincue que "les solutions existent", mais avoue que cela revient un peu à "chercher une aiguille dans une botte de foin". Par ailleurs apostrophée sur les "injonctions contradictoires" adressées aux maires, la ministre, là encore, endosse : "Rien n’est simple. Comme pour toutes nos politiques publiques, on est sur des chemins de crête."

L’accès aux soins : "Aide-toi…"

En matière d’accès aux soins aussi, "les solutions qui marchent doivent émaner des territoires", juge la ministre. Le conseil départemental de Loir-et-Cher, qui a fait de la lutte contre la désertification médicale son cheval de bataille, est payé pour le savoir. Le sujet est, il est vrai, la préoccupation numéro 1 dans la région, comme en témoigne un récent Eurobaromètre de la Commission européenne (v. notre article du 15 avril). La ministre invite les élus à s’inspirer des expériences mises en lumière sur la plate-forme Solutions d’élus (ex "France des solutions" lancée par Christophe Béchu au congrès des maires de 2022 – v. l’encadré de notre article du 22 novembre 2022) ou encore à se rapprocher des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) : "Ce sont elles qui vont vous apporter des solutions", assure-t-elle. Visiblement plus que le directeur territorial de l’agence régionale de santé, aux abonnés absents : "Nous l’avons pourtant invité plusieurs fois", tance la ministre, ajoutant au passage qu’elle "voudrait que le préfet ait la main sur tous les services déconcentrés."

La réforme des ZRR réformée ?

Dans un département singulièrement concerné, la ministre a également défendu le dispositif France ruralités revitalisation (FRR), qui vient réformer les zones de revitalisation rurale (ZRR), "alors que rien n’a été fait depuis 2015". "C’est un outil d’aménagement du territoire, dans le prolongement de ce qu’a fait la Datar, généreux et équitable", vante-t-elle, en soulignant qu’il est le fruit "d’un an de dialogues et d’échanges" notamment menés "avec le préfet Philizot". Une réforme qui prévoyait initialement de "faire sortir 2.000 communes du dispositif, et d’en faire rentrer 6.000, soit 17.500 au total contre environ 13.500 jusqu’ici" (v. notre article du 4 mars). Un dernier nombre qui tient compte des 13.700 communes de droit commun, mais pas des 4.000 communes qui, bien que ne répondant plus aux critères de la loi de 2015, émargent toujours parmi les bénéficiaires dans le cadre d’un régime transitoire, la loi n’ayant jamais été appliquée. Pour corriger des effets de seuil pénalisants, Dominique Faure révèle cependant qu’elle a proposé une nouvelle évolution de ce régime – qu’elle pense "plébiscitée par les élus locaux" –, laquelle devrait faire entrer 2.000 communes supplémentaires dans le dispositif. "Parmi lesquelles 400 sortantes", précise-t-elle à Localtis. Soit un total d’environ 20.000 communes qui s’approche des préconisations du sénateur Pointereau (v. notre article du 31 mai 2023). Pour conjurer le "malheur aux vaincus", la ministre ajoute qu’elle travaille par ailleurs, "pour les communes non FRR, sur un dispositif d’attractivité médicale, fiscal mais pas que fiscal". On n’en saura pas plus à ce stade.

Finances publiques : pas de dérapage des collectivités !

Ces trois sujets d’anxiété en cachent toutefois bien d’autres. Parmi lesquels l’état des finances publiques, dont la ministre indique à Localtis que c’est, "avec le ZAN, l’autre sujet du moment". "Avec l’état des finances nationales, c’est normal que les maires craignent que l’on fasse appel à eux", estime la ministre. Elle s’est voulue rassurante. D’abord en affirmant aux élus locaux que "la DETR ne doit pas être un sujet d’inquiétude. DETR et DSIL, c’est environ 2 milliards d’euros depuis quinze ans. Avec les 2 milliards du fonds vert, c’est désormais le double !", met-elle en avant. Ensuite en les invitant à "ne pas écouter" outre mesure les voix s'inquiétant du "dérapage des finances des collectivités", parce "c’est faux". Evoquant une "sémantique inadaptée", la ministre souhaite que "le terme ne [soit] plus utilisé". "Avec Christophe Béchu et Gérald Darmanin, nous défendons le fait que les collectivités sont bien gérées, ne sont pas dépensières et que quand elles dépensent plus, c’est parce que nous, nous prenons des décisions qui les y contraignent", déclare-t-elle encore. Dans le même temps, elle se dit "solidaire de Bruno Le Maire" et partage son objectif de nécessaire réduction d’une dette par ailleurs qualifiée de "transpartisane". Et d’alerter : "Aujourd’hui, ce sont 40 milliards d’euros qui partent en fumée [i.e. pour rembourser les seuls intérêts de la dette]. En 2027, ce sera 70 milliards". Et même 48,1 milliards d’euros en 2024, et 74,4 milliards en 2027, d’après la loi du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques. Des prévisions que la Cour des comptes vient pourtant de juger "optimistes" (v. notre article du 12 mars). Et Dominique Faure de prévenir : "Oui, on va prendre des mesures impopulaires. Oui, il faut réduire la dette."

Les écoles face à la déprise démographique 

Autre sujet de préoccupation, les fermetures d’école, qui font beaucoup grincer dans le nord du département d’accueil. "C’est un sujet que je rencontre partout en ruralité" (la plus touchée – v. notre article du 23 février), admet la ministre, en soulignant que "le sujet de la déprise démographique préoccupe le président de la République". Rappelant avoir "demandé à donner de la visibilité aux maires sur trois ans" – direction initialement écartée par Pap Ndiaye (v. notre article du 31 mars 2023) –, Dominique Faure souligne qu’un observatoire départemental des dynamiques rurales a déjà été mis en place dans un tiers des départements à cette fin. Pour mémoire, cette instance, créée dans le cadre du projet France ruralités, vise notamment à faciliter les échanges entre l’Education nationale et les collectivités sur cet épineux sujet. "Les fermetures d’école ne doivent pas relever que du nombre d’enfants. On doit prendre en compte d’autres paramètres, comme les nouveaux logements prévus, l’état de l’école…", plaide la ministre. En l’espèce, le préfet et la Dasen du cru s’y emploient : "On ne se contente pas simplement de la démographie. On y injecte un peu d’intelligence des territoires", assure le premier. La seconde confirme, nombre à l’appui : "24 postes ont été supprimés cette année. On aurait dû en supprimer 37 si on avait tenu compte que de la seule démographie". Elle précise avoir d’ores et déjà adressé des courriers aux maires concernés par des fermetures pour les rentrées de 2025 et de 2026. En aparté, Dominique Faure insiste sur "le besoin de compréhension des maires. Quand vous lui annoncez la fermeture d’une classe, vous lui donnez un coup de poing dans le ventre !".

Statut de l’élu : via le Parlement ou le gouvernement ?

La salle a également relayé ses inquiétudes sur le risque de démobilisation des élus, sujet par ailleurs au cœur de ce congrès départemental. "Quel message d’espoir pour les maires ?" était la demande officiellement adressée à la ministre dans le programme. En l’espèce, Dominique Faure croit beaucoup au statut de l’élu, sur lequel elle déclare "avoir beaucoup travaillé depuis le début 2023", et depuis mars avec l’Association des maires de France, "David Lisnard ayant accepté que l’on travaille ensemble, faisant des jaloux chez d’autres associations". Un travail que conduit en parallèle le Parlement. D’un côté le Sénat, avec la proposition de loi conduite par Françoise Gatel, récemment adoptée à l’unanimité en première lecture (v. notre article du 8 mars) et qui constitue pour la ministre "une étape". De l’autre l’Assemblée, avec la proposition de loi de Violette Spillebout (Renaissance) et de Sébastien Jumel (GDS-Nupes) (v. notre article du 11 janvier). Deux textes que la membre du gouvernement juge "complémentaires", et qu’elle aimerait non seulement réunir, mais plus encore dépasser : "Il y a deux options. Soit un des deux textes parlementaires se poursuit. Soit, à l’issue de la mission Woerth, qui a repris (sic) une grande partie du travail qu’on a fait l’an dernier, un projet de loi sera déposé. La décision politique n’est pas encore prise."

Statut de l’élu : avant, pendant, après

Si la deuxième option n’est pas sans risque, "faute de majorité", on devine qu’elle a la préférence de Dominique Faure, d’autant qu’elle y "travaille déjà avec la DGCL". Le projet "rassemblerait dans un seul et même texte les droits et devoirs du maire" et s’articulerait autour de trois titres, visant à :
- "donner envie d’être maire". Dans le détail, la ministre proposerait notamment "d’augmenter toutes les indemnités" et de rembourser certains frais, dont les frais de transport des étudiants conseillers municipaux pour leur permettre d’assister aux conseils de leur commune, Dominique Faure faisant part à Localtis de "son envie chevillée au corps de permettre aux étudiants de s’engager dans la vie locale" ;
- "simplifier l’exercice du mandat", avec "quinze axes de simplification" ;
- "accompagner le maire à la fin de ce dernier", avec en prévision un mécanisme de validation des acquis de l’expérience.

Pas le moment d’un acte III de la décentralisation

Suffisant pour relancer la machine ? Pour Jean-François Vigier, vice-président de l’AMF représentant David Lisnard, la difficulté tient au fait que "les élus locaux ont la volonté d’agir", mais n’ont ni la liberté ni la capacité de le faire, "croulant sous les normes" et voyant leur capacité financière réduite. Il plaide en conséquence pour "un acte fort de décentralisation" et la réintroduction "d’une véritable fiscalité de résidence". Une plaidoirie qui risque de rester vaine. "Il faut un acte III de la décentralisation, mais ce n’est pas le moment", estime la ministre, qui laisse entrevoir ses doutes sur la pertinence de revendiquer "plus de pouvoirs à un moment où on a de moins en moins d’argent". De même, elle se dit "mille fois d’accord sur la simplification". Elle attend ainsi avec intérêt les conclusions de la mission sur les coûts des normes conduite par Boris Ravignon (v. notre article du 6 décembre 2023), "qui s’achève dans 15 jours", lesquelles devraient être "intégrées dans le rapport Woerth attendu pour fin mai". "Chaque ministre doit proposer dix axes de simplification", indique-t-elle également. Elle relève toutefois que "c’est difficile", alors que "le Sénat et l’Assemblée nous inondent de propositions de loi". Et le fait d’avoir "un Hémicycle très divers" n’aide pas : "Chacun des groupes parlementaires veut mettre ses amendements".
Quant au chapitre fiscalité locale : "Éric Woerth y travaille et nous devons y aller". La question reste de savoir jusqu’où conduira la route, puisque Dominique Faure prend dans le même temps la précaution de souligner que "tout ne sera pas repris" du rapport Woerth : "Ce n’est pas une fin, mais un début."

Une V2 pour l'agenda territorial

Également interrogée sur le "mystère des CRTE" – entendre, leur disparition –, Dominique Faure avoue qu'"elle ne sait pas dire pourquoi ils n’ont pas donné lieu à un travail sur leur financement", aboutissant ainsi à une "liste à la Prévert de projets non priorisés et non financés". Elle "prend l’engagement que l’agenda territorial comportera une ligne pour refaire vivre ces CRTE et trouver des financements" – promesse naguère tenue par Christophe Béchu (v. notre article du 31 janvier). L’agenda territorial ? Un outil qu’il ne faut pas confondre avec feu l’agenda rural jadis porté par la locale de l’étape Jacqueline Gourault, puis par Joël Giraud, et qui s’est désormais mué en plan France ruralités. Annoncé en 2022 par Élisabeth Borne dans sa déclaration de politique générale (v. notre article du 7 juillet 2022), ce programme de travail commun partagé peinait jusqu’ici à émerger. Dominique Faure rappelle qu’elle ne faisait jusqu’alors "qu’y participer", regrettant qu’on ait "oublié d’y associer trop de parties prenantes, comme les parlementaires". Mais elle a depuis repris les choses en main. Son "agenda territorial V2" devrait ainsi être "présenté mi-juin au Premier ministre, et publié fin juin s’il est validé". "C’est un outil qui va permettre aux élus locaux, aux parlementaires et à tout le gouvernement d’inscrire des échéances par sujets, avec soit des mesures opérationnelles, soit des projets de loi. L’objectif, c’est de donner de la lisibilité", explique-t-elle, en soulignant que le Conseil national d’évaluation des normes est consulté. Un outil qu’elle résume en quatre mots : "Lisibilité, partage, concertation, action". 

 

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