Grand âge : 14 réseaux interpellent l’État et les départements sur la "profonde et rapide dégradation" de la situation

A l’heure où la branche Autonomie affiche des moyens en hausse pour faire face au choc démographique, les établissements et services publics et non-lucratifs du grand âge vont mal. Si l’aide à domicile est en difficulté depuis plus de dix ans, la situation de déficit se généralise actuellement aux établissements, du fait d’un manque d’ajustement des tarifs à l’inflation et aux revalorisations salariales. Appelant l’État et les départements à l’aide, 14 réseaux du grand âge alertent sur le fait qu’ils n’ont aucune marge de manœuvre et qu’ils sont déjà contraints de fermer des services, des unités et des établissements. Ils estiment à 1,4 milliard d’euros le montant du fonds d’urgence nécessaire.   

"La situation est extrêmement grave." Par ces mots, Pascal Champvert, directeur de l’AD-PA, résume la tonalité générale de la conférence de presse organisée ce 22 avril 2024 par treize réseaux d’acteurs publics et privés à but non lucratif du grand âge (1). L’objectif de cette démarche collective : "alerter sur la situation budgétaire critique des établissements et services autonomie à domicile". L’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) s’est également associée à la démarche. 

"Des structures ferment dans l’indifférence générale"

"Depuis le début de l’année 2022", ces organisations "n’ont cessé d’alerter les pouvoirs publics sur la profonde et rapide dégradation de la situation budgétaire des établissements et services publics et privés à but non lucratif", rappellent ces fédérations et organisations professionnelles dans un communiqué. "Plus de 75% des établissements et services à domicile vont clôturer l’exercice 2023 avec un résultat déficitaire", estiment-elles. Par conséquent, "les situations de trésorerie négative vont se généraliser en 2024 et 2025", prévient Emmanuel Sys, président de la CNEDEPAH (Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et personnes handicapées). Une trésorerie négative, c’est "une offre qui peut disparaître", poursuit-il. 

Actuellement, des établissements sont contraints de fermer des unités (des accueils de jour ou de nuit, par exemple) et des prestations, pour sauver le reste. Mais "déjà des structures ferment dans l’indifférence générale", selon Annabelle Vêques, directrice générale de la Fnadepa, qui cite les résidences autonomie. Dans le secteur de l’aide à domicile, où la crise est plus ancienne, "on continue à observer la dégringolade de services qui meurent", rapporte Vincent Vincentelli, directeur du pôle politiques publiques de l’UNA. Pour ce dernier, "ce qui est inédit ce n’est pas tellement la crise, c’est que tout le monde soit touché". 

Revalorisations salariales : "certains départements ne jouent pas le jeu"

En cause selon Emmanuel Sys : "une accélération de la déconnexion entre nos recettes et nos dépenses". L’effet de ciseaux s’est fortement accentué entre des dépenses en hausse, du fait des revalorisations salariales et de l’inflation, et des recettes qui n’ont pas été ou pas suffisamment ajustées – "financement incomplet voire absent de certaines des nécessaires mesures de revalorisation salariale" et insuffisante revalorisation des tarifs votés par les départements. A cela, s’ajoutent "des surcoûts liés à l’augmentation des taux d’intérêts des emprunts". 

"Les forfaits hébergement et dépendance ont totalement décroché depuis trois ans", insiste Marc Bourquin, conseiller stratégie à la Fédération hospitalière de France (FHF), à l’intention des départements. "Certains départements ne jouent pas le jeu dans la prise en compte des avenants", ajoute Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss. 

Or, sur les recettes comme sur les dépenses, les établissements et services "ne disposent d’aucune marge de manœuvre", estiment leurs représentants. L’augmentation du prix pour les bénéficiaires n’est pas une option : "le coût moyen mensuel d’un Ehpad, c’est plus de 2.000 euros, cela dépasse les revenus courants de près des trois quarts des personnes concernées", indique Guénaëlle Haumesser, de la Mutualité française. "La gestion est déjà au cordeau, nous ne pouvons pas rétablir la situation sans toucher à la qualité de service, ce à quoi nous nous refusons", affirme Marc Bourquin. "Les directeurs sont totalement désemparés", constate Emmanuel Sys.  

"Les professionnels sont à bout de souffle", embraye Marie Aboussa, directrice du Pôle offre sociale et médico-sociale pour Nexem. Dans un tel contexte, ces professionnels sont contraints à "prendre des risques au quotidien", à ne pas pouvoir accompagner les personnes comme ils le voudraient, souligne Jérôme Voiturier, qui rappelle que d’autres secteurs sociaux tels que la protection de l’enfance sont en grande difficulté. "Ce sont toutes les solidarités qui sont en train de craquer", interpelle-t-il. 

Une loi pour "avoir ce débat sur le financement"

Ces réseaux demandent à la fois une opération de "sauvetage" et des mesures de plus long terme. Ils souhaitent dans un premier temps "un nouveau fonds d'urgence pour les établissements et services à la hauteur des déficits constatés pour éviter les cessations de paiement et trésoreries négatives". Les besoins sont estimés à 1,4 milliard d’euros. Le plan d’urgence de 100 millions d’euros mis en place en 2023 est qualifié de "notoirement insuffisant, comme l’ont été les précédents fonds d’urgence mis en place dans le secteur des services à domicile depuis 2012". 

Autre mesure jugée impérative pour 2024 : le réalignement entre l’augmentation des recettes – en particulier des tarifs votés par les départements – et celle des salaires et des prix. L’augmentation devrait être d’au moins 5% pour que les Ehpad "puissent commencer à lever la tête", indique Marc Bourquin. 
Côté aide à domicile, "l’État investit" mais "la complexité fait que l’argent ne va pas là où il doit aller", observe Jérôme Perrin de l’ADMR. "On n’a jamais eu autant de départements qui détarifient, donc quelque part augmentent le reste à charge des personnes, alors qu’on n’a jamais eu autant d’argent. Rendons les choses simples", insiste-t-il. Au-delà de l’aide à domicile, les organisations demandent que l’argent du soutien à l’autonomie revienne effectivement au soutien à l’autonomie, dénonçant des excédents de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) systématiquement repris pour compenser les déficits d’autres branches. 

"C’est pour ça qu’il faut une loi d’orientation ou de programmation, pour avoir ce débat sur le financement", appuie Marc Bourquin. Ces réseaux du grand âge demandent au gouvernement une confirmation de cette "loi autonomie demandée par les parlementaires et acteurs de terrain prévoyant les moyens budgétaires et humains nécessaires pour faire face aux évolutions démographiques". Pour Emmanuel Sys, en dépit de toutes les difficultés constatées, il importe de "ne pas abandonner" l’ambition d’"adapter l’offre au choc démographique à venir". 

(1) Adédom, ADMR, ADPA, CNADEPAH, FEHAP, FHF, FNAAFP/CSF, Fnadepa, FNAQPA, UNA, Uniopss, Mutualité française et Nexem. L’Unccas s’est jointe à la démarche dans un communiqué du même jour.