SoutienLes 61 milliards américains, « le minimum pour tenir la ligne » en Ukraine

Guerre en Ukraine : « Il faudrait probablement le double » de l’aide américaine pour renverser le conflit

SoutienLe Congrès américain a enfin voté une aide de près de 61 milliards de dollars pour soutenir Kiev face à l’invasion russe
Un militaire ukrainien est assis à côté d'un canon automoteur Caesar sur une ligne de front dans un lieu tenu secret, dans le sud de l'Ukraine, le 14 février 2024.
Un militaire ukrainien est assis à côté d'un canon automoteur Caesar sur une ligne de front dans un lieu tenu secret, dans le sud de l'Ukraine, le 14 février 2024. - Genya SAVILOV / AFP / AFP
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Après des mois de blocages, la Chambre américaine des représentants a finalement adopté samedi un plan d’aide de 60,8 milliards de dollars à l’Ukraine.
  • Le président ukrainien Volodymyr Zelensky réclamait cette aide alors que les forces ukrainiennes manquent d’artillerie et de défense antiaérienne.
  • Mais cette somme est-elle suffisante pour que Kiev espère renverser la dynamique sur le front ?

«Enfin ! » Les Ukrainiens et leurs alliés célèbrent l’adoption aux Etats-Unis d’une aide de 60,8 milliards de dollars à l’Ukraine samedi, après des mois de blocage. Sur le terrain, les forces ukrainiennes ne cachent plus leurs difficultés, étranglées par les retards de livraison d’aide occidentale. Semaine après semaine, les Russes, plus nombreux et moins limités en termes de munitions, grignotent du terrain dans l’est du pays.

Dans ce difficile contexte et alors que Moscou occupe toujours 20 % du territoire ukrainien, cette aide est « essentielle » pour Kiev, souligne Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste, qui assure qu’elle permettra de « rééquilibrer le rapport de force ». « C’est vital pour l’Ukraine, abonde Cédric Mas, historien militaire et spécialiste du conflit. L’effort de réarmement est largement insuffisant pour le moment : l’Europe avait promis un million d’obus cette année, elle est largement en dessous pour l’instant. Face à la lenteur de la mobilisation européenne, l’aide américaine est donc indispensable. »

Une enveloppe dodue mais « insuffisante »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est d’ailleurs empressé de saluer cette enveloppe qui, selon lui, « sauvera des milliers de vies ». Depuis l’invasion russe en Ukraine, les Etats-Unis avaient jusqu’ici promis 74 milliards d’aide à Kiev. « Cette enveloppe, c’est presque autant que ce qui a déjà été donné par les Etats-Unis. C’est très important. A titre de comparatif, c’est comme si, en France, l’Assemblée nationale avait voté une aide de neuf milliards dont six milliards pour l’Ukraine », illustre Michel Goya.

Mais si Joe Biden a estimé que le Congrès américain se montrait à la hauteur de « l’Histoire », ces milliards pourraient toutefois se révéler largement insuffisants. Carole Grimaud invite à regarder plus en détail la répartition de ce financement. « Une partie des fonds serviront à réapprovisionner l’armée américaine » du matériel déjà envoyé en Ukraine, note l’experte à l’Observatoire géostratégique de Genève. Pour la fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est (Creer), « cette aide est [donc] indispensable, urgente mais elle ne suffira pas pour autant à récupérer la souveraineté des territoires ».

« Economiser le sang »

D’autant que l’armée ukrainienne s’est épuisée en attendant ces aides. La dernière promesse de livraison américaine date de décembre 2022 et les dernières livraisons effectives d’octobre 2023. « Mieux vaut tard que trop tard », a lâché le Premier ministre polonais Donald Tusk, soutien inconditionnel de Kiev, avant d’ajouter « j’espère qu’il n’est pas trop tard pour l’Ukraine ». Car, depuis octobre, Kiev résiste sans réapprovisionnement. « Les forces ukrainiennes compensent l’absence de nouveaux chars, canons et munitions par la perte de leurs hommes », grince Cédric Mas qui rappelle que les équipements militaires « économisent le sang ».

Une allonge pourrait toutefois suivre. « Le Congrès est en train de passer une autre loi qui permettra de confisquer les avoirs russes aux Etats-Unis pour les envoyer à l’Ukraine. Cela permettrait d’ajouter six milliards d’aide », explique Carole Grimaud. Mais « ce que les Etats-Unis fournissent là, c’est le minimum pour tenir la ligne », lâche Michel Goya. « Il faudrait probablement le double de cet effort pour donner un avantage décisif à l’armée ukrainienne », glisse-t-il, ajoutant que l’issue d’un conflit n’est toutefois pas uniquement une question de moyens financiers mais aussi de « mobilisation humaine » ou encore de « réorganisation des forces ».

Une « facture » exponentielle

« Il faudrait que cette somme soit envoyée à Kiev chaque année », estime, de son côté, Cédric Mas. « Et plus on attend, plus il faudra d’argent pour aider l’Ukraine à sortir de l’impasse. La facture finale augmente chaque jour », analyse l’historien militaire, qui cite les pertes humaines et des problèmes qui s’aggravent. « C’est de plus en plus cher en vies, en effort et en argent, de part et d’autre du conflit », abonde Michel Goya. Mais alors que la présidentielle se profile aux Etats-Unis, « il y a une énorme incertitude sur le suivi de l’aide américaine », rappelle Carole Grimaud.

Donald Trump et les Républicains de manière générale sont peu enclins à signer des chèques pour combattre l’enlisement du conflit. Or, pour gagner la guerre, les Ukrainiens ont avant tout besoin de « régularité », estime Cédric Mas. « Il y a en permanence des arythmies dans l’aide, avec des mois à grosses livraisons et des mois sans rien. Avec de la constance, les Ukrainiens pourraient planifier leurs actions militaires », souligne-t-il. Plus qu’une somme précise, Kiev aurait donc bien besoin d’une régularité que la politique nationale comme internationale ne cesse de lui refuser.

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