C’était en 1966 : un soir à Matignon, le premier ministre Georges Pompidou s’emballe contre son parapheur rempli de décrets à signer. « Arrêtez donc d’emmerder les Français !, s’enflamme-t-il face à son jeune collaborateur prénommé Jacques Chirac. Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays, on en crève. »

Six décennies plus tard, la réplique devenue culte n’a pas pris une ride. Rien que ces vingt dernières années, le nombre de mots du droit français a doublé – il en compte désormais 45,3 millions. Une « inflation normative » devenue le nouvel ennemi de Bruno Le Maire, ministre de l’économie, qui promet aujourd’hui d’alléger la charge administrative des entreprises, notamment des TPE et PME, via un projet de loi présenté le 24 avril en conseil des ministres.

Une énième législation de simplification

Si elle est votée, cette nouvelle législation viendra s’ajouter à la longue liste des « lois de simplification ». Dans la foulée de Pompidou, les gouvernements successifs ont quasiment tous porté la leur. Depuis la présidence d’Emmanuel Macron en 2017, on en compte déjà plusieurs – dont la loi Essoc (2018), Pacte (2019) et Asap (2020). « Plusieurs dispositifs allégeant le fardeau administratif des citoyens et/ou des entrepreneurs ont été adoptés avec succès, comme le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu », défend Louis Margueritte, député Renaissance, auteur du rapport « Rendre des heures aux Français », publié en février.

Mais du côté des entrepreneurs, cette énième tentative de simplifier le droit est accueillie très prudemment. « Je n’ai pas observé un “ruissellement de simplification administrative” malgré les lois votées ces vingt dernières années », estime Mélanie Tisserand-Berger, présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD).

« Certaines volontés de simplifier finissent par s’enliser, voire produire des effets inverses, assure de son côté François Asselin, président de la CPME. Par exemple, la loi de simplification de 2014 instaurant la règle du “silence de l’administration vaut accord” a eu plus de 1 200 dérogations.»

Olivier Rietmann, sénateur LR et rapporteur d’une loi sur la sobriété normative adoptée en première lecture le 26 mars au Sénat, se veut aussi méfiant : « Le gouvernement parle de “choc de simplification”, comme s’il suffisait de supprimer certains documents administratifs pour régler le problème. Pour le prendre à bras-le-corps, il faudrait surtout arriver à impulser une culture de la simplification dans les administrations. »

Un « test PME »

Du côté des organisations patronales, ils sont nombreux à « vouloir encore y croire ». « Nous touchons un plafond, un niveau de complexification jamais atteint, en France comme en Europe. Si on veut libérer les acteurs économiques et remettre de l’argent dans les caisses, nous n’avons pas d’autre choix que de nous attaquer à ce problème », soutient François Asselin.

La CPME concentre ses espoirs dans la création d’un « test PME », ce dispositif permettant d’estimer systématiquement l’impact d’une nouvelle norme sur les petites sociétés afin de « s’assurer qu’elle n’est pas incompatible avec la situation des entreprises et qu’elle ne produit pas d’injonctions contradictoires », explique François Asselin.

Soutenue par la CPME depuis deux ans, cette mesure, qui devrait faire partie du projet de loi, a déjà été adoptée dans une version plus détaillée par le Sénat via la proposition de loi d’Olivier Rietmann. « Le but de cet outil est de réfléchir en amont aux obligations qu’on impose aux entreprises, en analysant leur coût, qu’il soit en temps, en argent ou en complexité administrative », précise le sénateur.

Et Mélanie Tisserand-Berger de conclure : « Plutôt que de bloquer la fabrication normative, on espère que ce dispositif co-constructif soit également l’occasion de récréer un lien de confiance entre ceux qui font les règles et ceux qui les appliquent. »