dans les tuyauxUn statut de repenti pour les « nourrices », vraie ou fausse bonne idée ?

Drogue : Un statut de repenti pour les « nourrices », vraie ou fausse bonne idée ?

dans les tuyauxL’idée d’un statut pour les inciter à parler fait son chemin
Dans le quartier du bas Clichy-sous-Bois. (Photo d'illustration)
Dans le quartier du bas Clichy-sous-Bois. (Photo d'illustration) - ISA HARSIN/SIPA / SIPA
Caroline Delabroy

Caroline Delabroy

L'essentiel

  • La secrétaire d’Etat à la Ville planche, en lien avec le ministre de la Justice, sur un statut de repenti spécifique pour les « nourrices », afin de permettre aux femmes d’être protégées si elles sont « capables de livrer les informations qui permettent d’arrêter les réseaux criminels ».
  • Pour la sociologue Sarah Perrin, on « accentue se faisant encore les inégalités », sans venir à bout des trafics et penser d’autres réponses au trafic de drogue.
  • Le statut de repenti a aussi été évoqué devant la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France.

C’est un statut encore peu utilisé. Et encore moins pour des « petites mains » du trafic de drogue. Si bien que le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti planche sur une réforme, pour rendre plus efficace le recours aux « repentis » – dans les textes, « collaborateurs de justice » – dans la lutte contre le crime organisé. Le principe ? Un système, inspiré de ce qui peut se faire aux Etats-Unis ou en Italie, où des participants à des activités criminelles acceptent de coopérer avec les autorités judiciaires ou policières. En échange, ils obtiennent différents avantages, qui vont de l’exemption et de la réduction de peine jusqu’à une nouvelle identité.

La réforme pourrait inclure un « statut de repenti spécifique » pour les « nourrices », « très souvent des mères célibataires qui ont agi sous la contrainte financière ou physique » pour stocker de la drogue chez elle, a indiqué la secrétaire d’Etat chargée de la Ville Sabrina Agresti-Roubache.

Déclarations dans la droite ligne de celles du ministre de la Justice, pour qui il faut « sortir de l’omerta » : « On interpelle des gros bonnets, mais il faut inciter les nourrices et les parents des enfants recrutés pour faire le guet, ceux qui entrent dans ce trafic, qui ne sont pas mouillés jusqu’au cou, à parler, a-t-il déclaré en mars sur RMC. Pour ça, il faut qu’ils soient protégés quand ils le font. Ça, c’est une des clés de la réussite pour lutter contre les gros bonnets qui tiennent le trafic à Marseille. »

« On sait le traitement réservé aux poucaves »

A cette idée, Amine Kessaci, militant politique EELV et président de l’association Conscience, créée dans le but d’améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers défavorisés en France, est plus que sceptique : « On a bien compris que le rôle du gouvernement c’est de faire porter le chapeau aux mamans, mais cette responsabilité n’est pas la nôtre. » « Des magistrats, à Marseille, tirent la sonnette d’alarme, font le constat d’une guerre perdue contre le narcotrafic et on s’inscrit encore dans une logique répressive », ajoute-t-il, appelant à « écouter les gens qui vivent là-bas » et « à faire autrement ». A commencer par « faire revenir la police de proximité. »

Pour son livre Femmes et drogues, la sociologue et coordinatrice du dispositif TREND (tendances récentes et nouvelles drogues) en Nouvelle-Aquitaine Sarah Perrin s’est penchée sur les trajectoires d’usagères-revendeuses insérées socialement à Bordeaux et Montréal. Elle a aussi échangé avec des policiers. « Si elles sont sous contrainte, des femmes peuvent être source d’informations utiles pour la police, à condition qu’il y ait une réelle protection des sources. On sait le traitement réservé aux poucaves (balance), donc il y a un risque. »

Pour autant la chercheuse ne croit pas à un statut de repenti spécifique pour les nourrices, qualifiant cette réponse de « politique électorale », au lieu de penser des voies comme la légalisation du cannabis. « On demande à des nourrices de parler, ce faisant on accentue les inégalités de genre, de race, les inégalités sociales et on ne viendra pas au bout des trafics, ajoute-t-elle. Et je doute qu’une nourrice marseillaise puisse localiser une tête de réseau qui vit à Dubaï. »

« Un instrument très fort »

Devant la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France, le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, estime que les repentis « peuvent représenter un instrument très fort pour taper sur le haut de la pyramide ». Mais il évoque dans le même temps les « gens au cœur de l’organisation », ceux qui ont « du sang sur les mains ».

Pour Me Philippe-Henry Honegger, appelé devant la commission à donner son avis sur le statut des repentis, ces derniers peuvent aussi être de petits informateurs. Mais plus généralement il soulève le nécessaire rapport coûts avantages pour que les langues se délient. Il met aussi en garde contre les risques judiciaires liés à ce statut : « En tant qu’avocat, je pense que si vous promettez quelque chose à quelqu’un en échange d’informations, il vous dira ce que vous voulez, mais pas forcément la vérité. » In fine, il revient au juge d’évaluer la valeur probatoire de telles déclarations.

« Ce statut est intéressant mais il faut faire attention à comment il est inséré dans la procédure, l’avocat de la défense doit pouvoir discuter de l’opportunité ou de la véracité des choses », dit en écho le bâtonnier du barreau de Marseille, Me Mathieu Jacquier. Et selon lui, « pour avoir un repenti utile à la manifestation de la vérité, il faut penser à un échelon plus important » que celui de nourrice.

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