Sonia Sieff met les hommes à nu

La photographe a demandé à 80 hommes de se déshabiller devant son objectif. Ses images renouvellent la représentation de la masculinité.

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Comme l'explique Mathieu Palain dans la préface de son livre, Sonia Sieff, 43 ans, creuse une question centrale dans ses photos : c'est quoi, un homme ?
Comme l'explique Mathieu Palain dans la préface de son livre, Sonia Sieff, 43 ans, creuse une question centrale dans ses photos : c'est quoi, un homme ? © DR

Temps de lecture : 6 min

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En 2017, elle signait avec Les Françaises (éditions Rizzoli) une magnifique série de nus féminins… Pour l'occasion, elle avait demandé à une trentaine de ses amies, mannequins, actrices, danseuses, chanteuses et même designeuses, de se déshabiller dans des lieux insolites : toit de l'Opéra de Paris, Cité radieuse à Marseille ou bars de palaces. Sept ans plus tard, Sonia Sieff publie le pendant masculin de cet ouvrage.

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Pour ce nouveau livre*, elle a demandé à 80 hommes de se devêtir devant son objectif et de dévoiler, sans fard, leur intimité. Intitulé Rendez-vous !, cet opus annonce la couleur dès sa couverture, où un bandeau dissimule les avantageux attributs du danseur Sean Patrick Mombruno tirant la langue aux voyeurs, tandis qu'un facétieux rai de lumière souligne sa virilité triomphante.

« Silhouette de motarde intrépide et libre… », selon son amie scénariste Mary-Noëlle Dana, « Sonia Sieff est l'incarnation d'un rêve de Simone de Beauvoir », surenchérit la romancière Lolita Pille. Les deux femmes, qui signent la postface de ce livre, s'accordent sur un point : « Sonia est comme ces femmes reporters des années 70, dont les corps volontaires et désentravés sont faits pour arpenter les champs de bataille. » Lorsqu'on la rencontre dans un petit café de Montmartre où elle a ses habitudes, force est de constater que la description lui sied à merveille.

Regard désarmant

Fille des photographes Jeanloup Sieff et Barbara Rix, cette jeune maman donne le sentiment de ne pas avoir froid aux yeux. « J'aime les défis. L'idée de cette série de nus masculins était d'ailleurs un sacré challenge », reconnaît-elle volontiers. Le titre de ce projet photographique, débuté en 2020, résume son esprit. Le « rendez-vous » en question est bien plus qu'une rencontre. C'est aussi et surtout un impératif. « En même temps que nous fixions une date pour nous voir, nous convenions, mes modèles et moi, du fait qu'ils devaient accepter de “rendre les armes” quand je les mettais en scène », sourit la quadragénaire.

Le corset d'Olivier, Marseille, 2020.
©  Sonia Sieff
Le corset d'Olivier, Marseille, 2020. © Sonia Sieff
Son objectif était d'essayer de saisir ce qui fait l'essence de la masculinité à l'heure où le mouvement #MeToo bouscule les modèles. « Ce qui m'intéressait, c'était de proposer une autre manière de montrer le corps de l'homme », résume Sonia Sieff. Le résultat est réussi. Ses portraits, où affleure ici et là une pointe d'humour, déjouent les stéréotypes qui entourent les représentations traditionnelles des codes masculins.

Réfexions sur la masculinité

Les corps ne répondent ainsi pas tous aux canons esthétiques hérités de la statuaire antique. Tant s'en faut. Le seul point commun que ces photos entretiennent avec la sculpture gréco-latine tient au fait que, débarrassés de leurs vêtements, ces hommes voient leur portrait accéder à une forme d'intemporalité. « Il est difficile de dater une photo de nu alors que la mode, par définition éphémère, leste les clichés du poids d'une époque », justifie Sonia Sieff.

Chaque séance de pose s'est déroulée de la même manière. « Je demandais à mes modèles de se mettre nus immédiatement puis nous discutions pour faire connaissance car la plupart des hommes que je photographiais m'étaient inconnus. Si nous avions commencé par parler, il aurait été plus difficile de les déshabiller ensuite », dit-elle. Les prises de vues ont été adaptées pour restituer au plus près ce que la photographe avait perçu de la personnalité de ses interlocuteurs.

Le prince Charles, Paris, 2022.
©  Sonia Sieff
Le prince Charles, Paris, 2022. © Sonia Sieff
D'Ibiza à Kiev, de Belgrade à Addis-Abeba en passant par Biarritz, Copenhague, Paris et Marseille, Sonia Sieff a sillonné l'Europe pour réunir cette vaste galerie de portraits. C'est plus leurs points communs que leurs différences qui lui ont sauté au visage, d'un continent à l'autre. « Les garçons se ressemblent en ce sens qu'ils ne savent pas trop poser. Alors que les femmes adoptent naturellement des postures attendues. C'est comme si elles savaient sous quel jour se montrer. Au contraire, les hommes sont beaucoup plus malhabiles dans ce domaine », indique-t-elle.

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Loin de constituer un obstacle, cette absence d'expérience a visiblement facilité son travail. « Cela crée un rapport plus simple à la nudité », confie-t-elle. Avant de préciser que seuls deux hommes lui ont demandé à changer la photo qu'elle avait d'abord envisagé de publier « alors que la plupart des femmes estimaient avoir un droit de regard sur les images que j'avais faites d'elles ».

Selon la photographe, cette différence tiendrait au rapport que les hommes entretiennent avec leur propre corps. « Les garçons donnent l'impression de s'en moquer. Là où les filles sont obsédées par l'image qu'elles renvoient d'elles-mêmes. Cela change tout dans la relation avec un photographe et dans la manière de se comporter face à l'appareil », pointe Sonia Sieff.

Naissance d'une vocation

Son père avait réalisé des séries de nus célèbres, en noir et blanc, dont le plus fameux est sans doute un portrait d'Yves Saint Laurent pris dans son studio-appartement de la rue Ampère en 1971. Sonia Sieff a tenu à faire ses propres images en couleur et dans des décors naturels : en extérieur chaque fois que cela était possible. « J'ai le sentiment qu'installer mes modèles dans un lieu clos et bien éclairé est trop confortable. Je préfère shooter dehors. Ce faisant, j'affirme aussi mon propre style », sourit-elle.

À LIRE AUSSI Comment Sebastião Salgado est venu à la photoSa vocation est née, dit-elle, à la fin de sa scolarité au lycée Carnot. « À 17 ans, mon père m'a emmenée en Californie pour voir la vallée de la Mort. Il m'a confié un boîtier pour que je fasse des images. C'est là que tout s'est noué », se souvient-elle. Grande lectrice (elle fait partie du jury du prix littéraire du Drugstore Publicis), Sonia Sieff s'est pourtant d'abord orientée vers des études en lettres modernes. Il ne lui a fallu que quelques semaines pour se rendre compte qu'elle se fourvoyait.

Après avoir laissé tomber l'université, cette passionnée de voile, longtemps animatrice à l'école des Glénans, a un temps caressé le rêve de devenir navigatrice. Elle s'est finalement tournée vers le photojournalisme pour assouvir son goût des voyages. D'abord reporter dans un magazine de tourisme, elle embarque avec des amis écrivains pour de longs périples en train ou en bateau. Cette période de reportages au long cours ne dure pas. En 2000, son père lui demande de revenir à Paris ; il vient d'apprendre qu'il va bientôt mourir.

Du polar à la mode

Après sa disparition, Sonia Sieff prend à nouveau le large. C'est dans les îles Sous-le-Vent, en Polynésie, qu'elle se ressource avant de devenir photographe de plateau pour le cinéma. En parallèle, elle multiplie les portraits d'écrivains pour le Journal du polar. Puis se tourne vers la « mode »… Fan de Nan Goldin et Sarah Moon, la photographe dit vouloir aujourd'hui se consacrer à des projets plus politiques.

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« Quand je regarde mes dernières séries, je me rends compte qu'elles traduisent une certaine cohérence », glisse-t-elle. Rendez-vous ! est ainsi à inscrire dans le fil d'une œuvre qui comptera bientôt un projet cinématographique qu'elle développe depuis 2018 et rêverait de tourner l'an prochain. « Mary-Noëlle Dana et moi avons écrit un film choral qui raconte la destinée de trois femmes qui, malgré leurs différences, dessinent l'histoire d'un mouvement, celui du féminisme. Nous sommes en train d'en finaliser le bouclage financier », s'enthousiasme-t-elle. Une autre manière de capter l'air du temps.

*Rendez-vous ! éditions Rizzoli, photographies de Sonia Sieff, préface de Mathieu Palain, 176 pages, 69 €.

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Commentaires (5)

  • Freedom

    Je connaissais les photos, remarquables, de son père mais pas de sa fille. Très beau challenge et belle idée, n’en déplaise aux … vinaigres.

  • youen6

    C'est moche

  • Vieux taxi

    Son père faisait des photos icônes, sa maman en tirait les épreuves avec talent, dans le travail que j'ai vu d'elle, Sonia se rapproche un peu d'Helmut Newton... Lequel disait qu'il ne photographiait que des apparences, alors qu'ici on photographie des corps de bonne volonté dans l'exercice de leurs fonctions.