Brice Sannac, patron de deux hôtels à Collioure et Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), y consacre « facilement une heure et demie par jour ». Alexandre et Ibtissem Thiébaut, couple propriétaire de deux restaurants dans le port du Pouliguen (Loire-Atlantique), comptent de leur côté « jusqu’à cinq heures de travail chacun quotidiennement ».

« Lourdeur », « pléthore », « furie »… Dans la bouche des dirigeants de petites entreprises, les superlatifs ne manquent pas pour qualifier les contraintes administratives. En moyenne, ils y passeraient huit heures par semaine, selon une enquête du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI). Régulièrement remis sur la table, le sujet de la « surcharge administrative » a récemment connu un nouveau coup de projecteur lors de la crise agricole en janvier, les agriculteurs disant être « asphyxiés » par la « paperasse ».

« Supprimer de la bureaucratie »

Sentant l’étau se resserrer, le gouvernement s’est engagé à « simplifier la vie des entreprises », surtout des plus petites. Après une série de consultations auprès de patrons et fédérations professionnelles à l’automne et sur la base d’un rapport parlementaire de février (« Rendre des heures aux Français »), le ministre de l’économie Bruno Le Maire présente un projet de loi le 24 avril en conseil des ministres. Objectif : « supprimer de la bureaucratie », qui coûterait selon lui «70 milliards d’euros » chaque année à l’économie.

Les pistes d’amélioration semblent innombrables. Globalement, les interlocuteurs interrogés par La Croix s’offusquent du nombre de documents à fournir pour la moindre démarche et de la complexité des procédures. « Chaque année, nous installons une terrasse. Donc chaque année, nous faisons la même demande auprès de la mairie, générons les mêmes documents et sollicitons notre comptable pour un même service, facturé par lui », souffle Alexandre Thiébaut. « La pose des fenêtres d’une maison de 100 m2 requiert entre six et sept heures de main-d’œuvre. À cela s’ajoutent trois heures de tâches administratives, soit 50 % du temps de travail productif », s’énerve Sylvain Massonneau, dirigeant d’une entreprise de construction dans le Puy-de-Dôme.

La lourde administration du personnel

Dans les obligations administratives évoquées, celles liées à la gestion des salariés reviennent régulièrement. « Contrats de travail, bulletins de paie… Le social prend beaucoup de temps, estime Brice Sannac, qui embauche une trentaine de salariés l’hiver, une cinquantaine l’été. Rien que le montage d’un dossier pour une rupture conventionnelle représente cinq à six heures. »« Pour un essai d’une matinée, on passe autant de temps à gérer les formalités qu’à observer le candidat », poursuit Ibtissem Thiébaut, qui en effectue une vingtaine en amont de la saison estivale.

Pour pouvoir respirer, certains optent pour les services d’un expert-comptable. « Une dépense non négligeable : environ 1 600 € par mois », témoigne Catherine Guerniou, dirigeante d’une société de menuiserie de 14 salariés dans le Val-de-Marne. Malgré l’aide de ce professionnel et secondée d’une collaboratrice, elle consacre tous les jours trois heures « à la paperasse ». Pour s’éviter cette surcharge, Thomas Devineaux, lui, recourt depuis la création de sa société il y a six ans à des outils numériques : « Les salariés gèrent eux-mêmes leurs notes de frais, leurs congés, les bulletins de paie… , explique le dirigeant de la start-up de mobilier écoresponsable Louis Design. Ça simplifie la vie. »

Manque d’accès aux marchés publics

« Perte de temps, perte d’argent… Toute cette énergie donnée à la gestion administrative n’est pas investie ailleurs pour entreprendre, innover », regrette l’hôtelier de Collioure. « Notre métier est de servir les clients, de manager et motiver nos équipes : pas de remplir des pages blanches », soutient le couple restaurateur du Pouliguen.

Projet de loi de simplification : les « petits patrons » pris dans la jungle administrative

Le fardeau administratif forme aussi un frein considérable pour saisir des opportunités économiques. Beaucoup évoquent le manque d’accès à la commande publique et l’incapacité de peser face aux grandes entreprises, mieux outillées pour répondre aux obligations. « Nous avons arrêté il y a longtemps de répondre aux appels d’offres. Aujourd’hui, cela relève de l’impossible sans faire appel à un tiers pour remplir les dossiers », partage Thomas Devineaux, qui réclame une «concurrence plus équilibrée pour éviter de surfavoriser les plus gros acteurs ».

Le dirigeant témoigne d’une complexité similaire pour accéder aux aides, notamment celles liées à la transition écologique. «On consacre de l’argent public mais sans le rendre accessible à ceux qui en ont besoin… », regrette-t-il. «Si on intègre les enjeux de transition, on double le temps passé dans l’administratif », estime de son côté Catherine Guerniou.

« Inflation normative »

Pour beaucoup, cette surcharge administrative trouve son origine dans un phénomène d’« inflation normative ». Non que les chefs d’entreprise récusent la validité de cette évolution. « Les normes ont leur importance, surtout quand on parle de défis environnementaux ou de droit du travail », reconnaît Mélanie Tisserand-Berger, présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD).

Mais l’accumulation accélérée donne le vertige à beaucoup de dirigeants. « Normes d’accessibilité, de sécurité, demandes de dérogation auprès des Bâtiments de France, sans compter les délais de recours… Pour transformer une maison en hôtel, j’ai perdu un an à cause de l’administratif », raconte Brice Sannac. Les chefs d’entreprise dénoncent une superposition d’obligations souvent opaques voire contradictoires et des changements trop rapides, qui ne leur laissent pas le temps de s’adapter.

« Le secteur de la construction a trop longtemps fermé les yeux sur la sécurité, l’hygiène et la santé des ouvriers sur les chantiers, reconnaît Sylvain Massonneau. Mais en quelques années, on est tombés dans l’autre extrême : l’hyperformalisme. Un de mes sous-traitants a été verbalisé à 45 000 € d’amende pour un défaut de papier-toilette sur un chantier. Il risque de mettre la clé sous la porte. Et moi-même, cette affaire risque de me coûter 13 000 à 14 000 € en tant que donneur d’ordre, sans compter le temps d’immobilisation du chantier… »

Conséquence : « On a la trouille », témoignent certains. « Avec mes sous-traitants, on passe notre temps à filmer et prendre des photos pour apporter des preuves de notre respect des règles en cas de contrôle », regrette le maître d’œuvre du Puy-de-Dôme. Lui et d’autres espèrent d’ailleurs que la prochaine loi dépénalisera une partie des sanctions infligées en cas de manquement. « Il faut faire confiance aux chefs d’entreprise, la majorité veut bien faire, conclut Brice Sannac. Aller vers plus de déclaratif, de médiation, plutôt que de contrôle et de sanction, ce serait un vrai soulagement. »

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Le gouvernement s’engage à simplifier les démarches administratives

Le projet de loi de simplification présenté le 24 avril en conseil des ministres devrait soumettre une vingtaine de mesures pour alléger les obligations administratives des entreprises. Parmi elles, on retrouve la promesse de supprimer les formulaires Cerfa d’ici à 2030, la création d’un « test PME », la mensualisation des loyers commerciaux ou encore la suppression de sanctions pénales dues à un manquement d’obligations déclaratives.

Pour la société civile, le premier ministre a officialisé mardi 23 avril plusieurs dispositifs pour simplifier des démarches administratives, comme le versement automatique des bourses, la généralisation de l’IA dans les procédures administratives ou encore l’implantation de nouvelles « Maisons France services », les structures de proximité de l’administration publique.