Saint-Etienne : La page Casino se tourne entre chasse aux promos, « ambiance plombée » et météo hivernale

De notre envoyée spéciale à Saint-Etienne

« On sent dans l’attitude des gens que c’est la fin. » Penché sur les rayons des rasoirs, Stéphane, 48 ans, poursuit ses emplettes en remplissant petit à petit son panier. « Vous voyez, l’ambiance est un peu plombée. » D’habitude, souligne-t-il, « il y a de la musique en fond ». Là, pas un bruit. A peine quelques murmures d’acheteurs, chuchotant dans leurs téléphones.

Dans les allées de l’immense Casino Monthieu de Saint-Etienne, les chariots sont peu nombreux à se croiser. Les rayons sont déjà vides pour certains, donnant au lieu des airs de centre commercial fantôme. Dans six jours, le 30 avril précisément, le supermarché fermera ses portes pour laisser place à l’enseigne Auchan. La page Casino sera alors définitivement tournée. « C’est bien triste pour une entreprise comme celle-ci. Casino, c’est historique ici », souligne Stéphane.

« Plus rien dans les rayons »

En attendant, d’immenses affiches jaune fluo annonçant un « déstockage massif » avec des promotions allant jusqu’à – 70 % sur « des milliers de produits » fleurissent les allées. Histoire de liquider un maximum de produits. « Avant, je ne venais pas car les prix étaient trop chers. Là, j’en profite », glisse Sally, âgée de 25 ans. Mais comme toute Stéphanoise, la jeune fille ressent un petit pincement au cœur, elle aussi. « Beaucoup de sociétés ferment partout en France à cause de la conjoncture. Mais pour une entreprise comme Casino, qui a été au sommet, c’est vraiment dommage. »

« Moi, je suis une cliente régulière », sourit fièrement la pétillante Marie-Françoise, 82 ans en poussant son caddie. « Ce qui m’ennuie, c’est qu’il n’y a plus rien dans les rayons. Il manque plein de choses, constate-t-elle en regardant autour d’elle. Je ne suis pas venue faire les promos, j’ai juste besoin de deux ou trois bricoles. »

« Enfin quand même ! Je trouve aberrant qu’une société comme Casino, qui fonctionnait aussi bien, se retrouve acculée à ce point », appuie l’octogénaire d’un petit accent du terroir. Et d’ajouter, les yeux pleins de malice : « Et dire qu’il y a des incapables au sommet qui s’en sont sûrement mis plein les poches… Moi, j’ai de la peine pour toutes ces braves personnes licenciées. »

« C’est une société qui a été mal gérée », tranche « Marie Jo » près du rayon des surgelés. « Moi, j’y vais chaque semaine », glisse son fils Olivier qui se dit « déçu » : « Casino, ce n’est pas rien ici. » « On ira à Auchan, le coupe sa mère. De toute façon, je vais à Auchan. »

« Un coup de massue »

« Le bassin de l’emploi est déjà tendu à Saint-Etienne, ça ne va pas arranger les choses », se désole Lucie, croisée dans les rues du centre-ville, qui se présente comme une « nouvelle arrivante ». « On s’est installé il y a quelques mois avec mon compagnon mais il galère vraiment à trouver du travail, dévoile-t-elle. Ce matin, il avait rendez-vous avec sa conseillère de France Travail et elle ne l’a pas rassuré. »

La fermeture de Casino a été « un sujet de discussion au moment de l’annonce, souligne-t-elle. Ça été vécu comme un coup de massue. Mais là, on a l’impression que c’est retombé ». Un peu comme si les habitants étaient passés à autre chose. Ou tout simplement résignés.

Désormais, la météo plutôt que Casino

Mercredi, c’est la victoire des Verts, engrangée la veille à Grenoble, qui faisait les gros titres des journaux locaux traînant sur les comptoirs des bars. Quant aux discussions du moment, avantage à la météo hivernale. Pendant que les bus déversent, au pied de l’Hôtel de Ville, des dizaines de voyageurs pressés de se mettre au chaud, un couple d’octogénaires s’avance doucement.

Alors la fermeture de Casino, vous en pensez quoi ? « On s’excuse mais on n’a pas le temps, on a un rendez-vous », répond doucement le vieil homme appuyé sur sa canne. Et de s’arrêter : « Mais on est bien de votre bataille », insiste-t-il le doigt levé.

Même question posée à une pimpante sexagénaire tirant sur sa cigarette à la terrasse d’un café. Regard méfiant ponctué d’un « Vais jamais à Casino » peu avenant. Quant à savoir si c’est un sujet préoccupant pour la ville… L’intéressée nous expédie d’un signe négatif de la tête avant de plonger le nez dans son téléphone. Fin du sujet. La page est bel et bien tournée…