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La Corée du Sud et le Japon, les deux frères ennemis historiques, bientôt réconciliés ?
Des Japonais et des Sud-Coréens du Japon se sont réunis devant la résidence officielle du Premier ministre japonais le 16 mars 2023 pour accueillir le président sud-coréen Yoon Seok-yeol qui assiste à une réunion avec le Premier ministre Fumio Kishida pour renforcer la coopération en matière de sécurité.
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La Corée du Sud et le Japon, les deux frères ennemis historiques, bientôt réconciliés ?

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Christian Kessler, historien, professeur à l’Athénée Français et à l’université Musashi de Tokyo, revient sur les contentieux historiques entre le Japon et la Corée, alors que le dirigeant sud-coréen Yoon Suk-yeol a rencontré le Premier ministre japonais Fumio Kishida ce vendredi 17 mars.

Le dirigeant sud-coréen Yoon Suk-yeol a profité de la date clé de l'occupation japonaise, le 1er mars 1919, et de sa commémoration pour lancer une phrase qui a pris de court l’opinion publique et l’ensemble des politiques et journalistes : « Aujourd’hui, plus d’un siècle après le mouvement du 1er mars, le Japon s’est transformé d’agresseur militariste du passé en partenaire avec lequel nous partageons les mêmes valeurs universelles ». L’opposition coréenne a immédiatement parlé de « soumission » au Japon, de trahison.

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Cela ne rend que plus explosive la déclaration du président coréen, d’autant que son opinion publique reste très sensible à tout rapprochement avec l’archipel. Tokyo a immédiatement profité de cette main tendue pour la saisir, alors qu’au Japon aussi, l’opinion publique reste très réservée contre la Corée du Sud. Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a rencontré le Premier ministre japonais Fumio Kishida vendredi 17 mars. Quelques jours plus tôt, il avait annoncé un projet d’indemnisation de ses ressortissants victimes du travail forcé au Japon pendant la guerre, pour briser le « cercle vicieux » des contentieux entre les deux pays asiatiques et réchauffer leurs relations face à la Corée du Nord. Depuis longtemps, les États-Unis cherchent à rapprocher les deux pays. Paradoxal en effet que ces dissensions entre deux pays qui sont sous la protection nucléaire américaine et accueillent sur leurs territoires des bases militaires. Washington cherche donc à les rapprocher afin de renforcer le socle d’un containment face aux velléités de la Corée du Nord et de la Chine.

L'histoire d'une dissension

Mais ce rapprochement s’est toujours heurté aux dissensions historiques entre Corée et Japon. Au VIIe siècle, l’élite marchande de Paekche, royaume au sud de l’actuel Corée, apporte au Japon son savoir-faire, ses artisans, le bouddhisme et peut-être même sa dynastie dont descend l’actuel empereur Naruhito. Les nationalistes japonais nient farouchement cette filiation bien que l’empereur Akihito a publiquement reconnu les liens de sang entre la lignée impériale et les familles royales coréennes. Les grands tertres funéraires en forme de trou de serrure élevés au IVe siècle pourraient confirmer cette filiation, mais l’Agence impériale, qui en a la responsabilité, refuse toute fouille. Au XVe et au XVIe siècle, la piraterie japonaise, parfois interrompue, mène des attaques sauvages sur les côtes coréennes, poussant même jusqu’en Chine, pillant et dévastant tout. Toyotomi Hideyoshi, un général japonais qui est parvenu à imposer son autorité à tout l’archipel, reprend cette tactique économique et lance une énorme armée à la conquête de la Corée et de la Chine en 1592 : Séoul tombe mais les victoires navales de l’amiral coréen Yi Sunshi, héros légendaire, avec l’appui de la Chine, repousse les envahisseurs.

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Une seconde tentative en 1597 échoue également mais permet à Hideyoshi d’affaiblir les grands féodaux en les jetant dans une guerre coûteuse pour eux. En 1868, une fois ouvert au monde, le Japon se dépêche d’enfiler les habits des colonisateurs occidentaux et s’empare de la Corée en 1910. À partir de là, l’envahisseur nipponise l’éducation, efface la coréanité : culte shinto obligatoire, japonisation des patronymes, etc. Quand le conflit avec les États-Unis éclate après l’agression de Pearl Harbor en 1941, les Coréens sont obligés de soutenir l’effort de guerre du Japon en venant travailler dans les mines de l’archipel – notamment les sinistres mines de charbon – mais aussi dans les industries de guerre.

Pas de réconciliation

Contrairement à l’Allemagne, l’Asie n’a pas connu de réconciliation après la Seconde Guerre mondiale, qu’explique en grande partie le maintien sur le trône de l’empereur Hirohito qui a échappé à toute condamnation grâce à l’intervention américaine. S’il y a eu des réparations financières avec la Corée du Sud, de vagues excuses sur les exactions commises pendant la colonisation et la guerre – comme autant de formules moralement neutres – le contentieux territorial concernant les îles Takeshima et le nom de la mer du Japon, sont des séquelles qui n’ont pu être surmontées.

Plus encore, en Corée, la question de l’indemnisation du travail forcé qui a coûté la vie à nombre de Coréens, mais aussi la prostitution forcée des « femmes de réconfort » mises à la disposition de l’armée de l’empereur, n’est pas réglée. L’opinion publique coréenne est particulièrement sensible à ces deux questions que le traité de normalisation de 1965 – au prix d’arrangement financier – semblait avoir résolues, mais qui est revenu en force dès lors que la Corée du Sud est devenue démocratique en 1987 et s’est peu à peu installée sur la scène politique et économique internationale. Dès lors, les manifestations vigoureuses contre le Japon se sont multipliées et n’ont cessé au gré des accrochages diplomatiques.

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La phrase du président coréen prend, dans ce contexte, toute sa force. Certes le chemin sera encore long avant une réconciliation entre les deux pays que l’opinion coréenne ne désire pas, pas plus sans doute que celle du Japon. Mais enfin, les deux pays se militarisent, le Japon en décidant de doubler ses dépenses de défenses d’ici 2028 et la Corée en songeant à se doter de l’arme nucléaire, face à la Chine et la Corée du Nord. Le plan envisagé par le président coréen encore flou pour régler les différends est reçu pour l’instant avec empressement à Tokyo et Washington. Il faudra évidemment voir ce qu’il contient exactement, mais il augure du meilleur et pourra peut-être surmonter les blessures de l’histoire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne