Dix ans après, la mort de Clément Méric devenue symbole de la lutte antifasciste

Manifestation en hommage à Clément Méric, à Paris, le 8 juin 2013, trois jours après sa mort.

Manifestation en hommage à Clément Méric, à Paris, le 8 juin 2013, trois jours après sa mort. ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Le 5 juin 2013, Clément Méric, 18 ans, décédait à la suite d’un coup porté par un militant d’ultradroite. « Un week-end antifasciste de commémoration et de lutte » est organisé par plusieurs collectifs jusqu’à ce lundi 5 juin 2023.

C’était il y a dix ans. Le 5 juin 2013, Clément Méric, jeune militant antifasciste, mourait sous les coups de skinheads en plein cœur de Paris. Un drame qui déclencha des réactions politiques en cascade.

Pour marquer ce dixième funeste anniversaire, « un week-end antifasciste de commémoration et de lutte » est organisé par l’Action antifasciste Paris Banlieue et d’autres organisations. Une manifestation se déroulera dimanche, à Barbès, dans le 18e arrondissement. Le lendemain, lundi 5 juin, un rassemblement en hommage se tiendra sur les lieux de la rixe mortelle, rue Caumartin, dans le 9e arrondissement. « L’Obs » revient sur le drame qui a coûté la vie à ce jeune étudiant engagé, devenu depuis l’un des symboles des mouvements antifascistes.

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· Que s’est-il passé le 5 juin 2013 ?

La scène n’aura duré que quelques secondes. Le 5 juin 2013, en fin d’après-midi, un groupe de skinheads proches des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) et un autre de militants de l’AFA (l’Action antifasciste) se rencontrent par hasard au cours d’une vente privée de vêtements de la marque Fred Perry, très prisée des « skins » comme des « antifas ».

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A 18h43 et 25 secondes, les deux groupes entrent en contact, rue Caumartin, dans le 9e arrondissement de Paris. A 18h43 et 31 secondes, un corps s’écroule. Sept secondes fatales à Clément Méric, 18 ans, qui s’effondre sur le bitume après avoir été frappé au visage. Le décès du brillant étudiant de Sciences-Po qui se remet à peine d’une leucémie sera prononcé le lendemain.

· Qui a déclenché la rixe ?

Alerté par une cliente, un vigile conseille au groupe de militants de l’ultradroite de quitter les locaux sur la droite, pour éviter un affrontement avec les antifascistes, qui patientent sur le parvis de l’église. Mais ils décident de foncer sur le groupe de Clément Méric. Ils sont alors armés : Lydia Da Fonseca, qui fait partie du groupe, a reconnu devant les enquêteurs qu’Esteban Morillo, 20 ans au moment des faits, avait rangé un poing américain dans le sac à dos de son camarade, Samuel Dufour. Lors de son procès, Esteban Morillo a nié avoir utilisé un poing américain.

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La suite est plutôt floue. Qui a déclenché la rixe ? Devant les enquêteurs, les antifas ont reconnu avoir « rigolé » à l’approche des skinheads. Esteban Morillo, lui, a prétendu que Clément Méric les a de nouveau provoqués. Samuel Dufour affirme que c’est l’un des militants antifascistes qui l’a attaqué le premier. Selon ses compagnons, c’est Esteban Morillo qui a ouvert les hostilités en portant le premier coup à Clément Méric.

Les nationalistes prennent ensuite la fuite. L’enquête établira qu’ils se retrouvent tous ensemble au Local, le bar de Serge Ayoub, leader du groupuscule Troisième voie. L’homme n’était pas présent sur place pendant la rixe, mais les « skins » étaient en communication téléphonique juste avant et juste après la scène.

· Quelles ont été les suites et réactions politiques ?

Le 8 juin 2013, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonce demander au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, « d’engager immédiatement » une procédure en vue de la dissolution des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR). Le 11 juin, il annonce qu’une procédure similaire va être engagée pour le groupe Troisième Voie.

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Cette dissolution, prononcée par le conseil des ministres, est validée par le Conseil d’Etat en juillet 2014. L’instance estime la dissolution justifiée par « la gravité des dangers pour l’ordre public et la sécurité publique résultant des activités des groupements en cause » qui doivent être considérés comme une milice privée.

· Qui a été condamné ?

Esteban Morillo (28 ans) et Samuel Dufour (27 ans) ont respectivement été condamnés à huit et cinq ans de prison en appel, en juin 2021. Lors de leur examen de personnalité, les deux condamnés avaient assuré ne plus être en phase avec l’idéologie skinhead.

Le premier avait reconnu avoir porté les coups mortels. En première instance, il avait été condamné à onze ans d’emprisonnement, mais a plaidé en appel la légitime défense. L’ancien skinhead s’est dit « désolé » de la mort « horrible » de Clément Méric, et a assuré s’être défendu d’un « guet-apens » orchestré par les militants antifascistes.

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Pendant son procès, celui qui a assuré avoir tourné la page sur son passé de skinhead, a expliqué : « Je me suis retourné, Clément Méric venait pour me frapper. Je l’ai frappé. Il est tombé d’un coup, comme ça. J’étais surpris. Je n’ai pas compris ce qu’il s’était passé. »

De son côté, Samuel Dufour avait été condamné à sept ans de prison en première instance. Même s’il n’a pas frappé Clément Méric pendant la bagarre, la cour d’assises de Paris avait jugé que sa participation avait empêché les camarades du jeune militant de lui venir en aide.

· Les parents ont-ils réagi ?

La mort de Clément Méric déclenche une vague de rassemblements dans toute la France, dont un à l’endroit où se sont déroulés les faits, le lendemain. Auprès de RTL, sa mère, Agnès, s’est confiée ce 1er juin 2023, à quelques jours du « week-end antifasciste ». Elle revient sur le jour d’après. « Les camarades de Clément souhaitaient qu’on s’approche avec une rose à la main, comme eux allaient le faire. Moi, ça m’a un peu effrayée et on a souhaité vraiment rester en retrait, rester discrets. Donc on n’a pas voulu s’avancer. Il y avait des gens, il y avait des caméras, il y avait des journalistes… ça nous a écrasé ce côté public de l’événement et ça nous a un peu empêchés aussi, je crois, de vraiment vivre la dimension intime de ce décès. »

· 10 ans après, Clément Méric, un symbole ?

Brestois, amateur de musique, végétarien, militant antifasciste, antiraciste et syndicaliste à Solidaires étudiants… L’engagement de Clément Méric est détaillé dans le livre « Clément Méric, une vie, des luttes », paru aux éditions Libertalia le 26 mai. Pour les auteurs (sa famille, des amis, des membres d’associations antifascistes et de collectifs), Clément Méric est devenu un symbole :

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« La mort de Clément a fait grand bruit à l’époque. Un nom venait s’ajouter à la très longue liste des victimes de l’extrême droite. Pour la seule Europe, une centaine de personnes tuées entre 2008 et 2018 – sans compter tous les traumatismes causés à des personnes blessées, physiquement ou psychiquement. Et en France, de 1986 à 2020, 48 homicides, la plupart du temps à mobile raciste. Certains noms continuent d’être le symbole de ces violences. »

« Le meilleur hommage, c’est de continuer le combat, ce livre se voudrait un ferment pour les luttes présentes et à venir », indiquent les auteurs, qui refusent de faire du jeune militant « un martyr ». « Sans ériger de culte à un héros qui n’en était pas un, à un martyr qui n’a pas donné sa vie mais à qui on l’a volée, nous devons évoquer ce que la mémoire de Clément peut apporter, parce que les luttes continuent. »

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