PROCESLe calvaire de Shaïna, 15 ans, poignardée et brûlée vive, aux assises

Assassinat de Shaïna : Le calvaire de l’adolescente, poignardée et brûlée vive, aux assises

PROCESLe 27 octobre 2019, le corps de Shaïna, 15 ans, était découvert calciné dans un cabanon à Creil. L’adolescente a été poignardée puis brûlée vive. Le procès s’ouvre ce lundi aux assises des mineurs de Beauvais.
Shaïna a été assassinée alors qu'elle venait de fêter ses 15 ans
Shaïna a été assassinée alors qu'elle venait de fêter ses 15 ans - Photo fournie par la famille / Famille à 20 Minutes
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • A partir de ce lundi et pour une semaine, s’ouvre devant la cour d’assises des mineurs de Beauvais le procès de l’homme soupçonné d’avoir assassiné Shaïna en octobre 2019.
  • L’adolescente a été poignardée à plusieurs reprises puis brûlée vive dans un cabanon à Creil, dans l’Oise, quelques jours après avoir découvert sa grossesse.
  • Le principal suspect n’a eu de cesse de nier toute implication.

Ce 27 octobre 2019, une rumeur commence à se répandre à Creil (Oise). Entre les hautes tours du quartier du Plateau d’abord, puis dans toute la ville. Un corps a été retrouvé carbonisé dans un petit cabanon au cœur de jardins familiaux. Une jeune fille, semble-t-il. Certains disent même qu’elle était enceinte. L’incendie a eu lieu deux jours auparavant mais personne ne s’est vraiment soucié de la destruction de cette petite baraque en tôle à l’abandon, souvent squattée par des jeunes du quartier. Pas même les autorités. Jusqu’à ce coup de fil anonyme reçu par le commissariat en début d’après-midi, leur indiquant la présence du corps. Selon cet interlocuteur, il s’agirait de Shaïna, l’adolescente de 15 ans qui a disparu voilà deux jours.


retrouvez l'interview intégrale du frère de shaïna, yasin Hansye


Plus de trois ans après ce drame, Youssef *, aujourd’hui âgé de 20 ans - il en avait 17 au moment des faits - est jugé pour assassinat à partir de ce lundi et pour toute la semaine devant la cour d’assises des mineurs de Beauvais. « Ça fait trois ans qu’avec mes parents, on attend ce moment, confie Yasin Hansye, le grand frère de la victime. On veut connaître la vérité, même si nous, on s’est déjà fait notre avis. » Shaïna a été poignardée à plusieurs reprises dans le ventre. L’autopsie mettra en lumière qu’elle a inhalé de la fumée, preuve qu’elle était encore vivante lorsqu’elle a été immolée par le feu. Son corps était méconnaissable, la médecin légiste a même dissuadé la famille de le voir. C’est grâce à une bague, un bijou de famille qui se transmet de mère en fille, qu’elle a été identifiée.

« La première pierre du calvaire de Shaïna »

Pour raconter l’histoire de Shaïna, se représenter son calvaire, il faut s’imaginer des poupées russes, des drames qui se superposent et se referment sur l’adolescente tel un piège. Deux ans avant que son corps ne soit découvert dans ce cabanon, la jeune fille avait déjà porté plainte. C’était pour un viol collectif. Elle avait 13 ans, son petit ami d’alors, Ahmed *, un an de plus. Selon le récit consigné dans sa plainte, ce dernier aurait menacé Shaïna de dévoiler sur les réseaux sociaux des photos d’elle dénudée – clichés obtenus sous la contrainte – si elle ne le rejoignait pas dans une clinique désaffectée. A peine arrivé, il lui aurait intimé l’ordre de lui faire une fellation. Alors qu’elle s’y refuse, deux autres adolescents arrivent. Ils la maintiennent, la déshabillent avant de lui faire subir une pénétration digitale puis avec un tube de Labello. Les faits ont finalement été requalifiés en violences et agression sexuelle en réunion. Jeudi dernier, en appel, des peines allant jusqu’à deux ans de prison avec sursis ont été prononcées à leur encontre. Ahmed a également vu son nom inscrit au fichier des délinquants sexuels.

« Cette affaire a posé la première pierre du calvaire de Shaïna, estime l’avocate de la famille, Me Negar Haeri. Elle a contribué à lui bâtir une réputation, à fragiliser cette jeune fille, dont la parole a toujours été déconsidérée, malmenée. Sur un plan juridique, elle est évidemment déconnectée de l’assassinat, mais elle pose les jalons qui conduiront à sa perte. » Des vidéos de cette agression ont été diffusées sur les réseaux sociaux, notamment Snapchat, forgeant à l’adolescente une réputation de « fille facile » au sein de la cité, lui faisant vivre deux ans d’humiliations et de violences. Ahmed n’en a d’ailleurs pas fini avec la justice : il est soupçonné d’avoir tabassé Shaïna en mai 2019, alors même qu’il avait interdiction de se rendre à Creil. Les investigations sont terminées, mais le procès n’a pas encore été audiencé.

Un test de grossesse positif

C’est au cours de cet été 2019 que Shaïna rencontre son nouveau petit ami. Youssef a 17 ans, est en terminale. Elle a fêté ses 15 ans le 11 août, vient d’avoir son brevet avec mention. Il reconnaît s’être rapproché d’elle « fin août-début septembre » en raison de sa réputation, pour obtenir des relations sexuelles. « Je me suis servi d’elle. Je savais dans quel but je lui parlais », confie-t-il à la psychologue. A l’en croire, ils ne se sont pas revus depuis la mi-octobre. Mais le jour de sa mort, Shaïna et lui ont échangé 122 textos. La conversation n’a pas été retrouvée mais selon l’accusé, elle tourne autour de la grossesse que l’adolescente venait, semble-t-il, de découvrir. Après sa disparition, ses parents ont retrouvé un test positif dans son sac à main. Selon Youssef, Shaïna lui aurait confié son souhait de garder l’enfant quand lui voulait la convaincre d’avorter.

Depuis son interpellation, l’accusé n’a eu de cesse de nier toute implication. Aucune trace de son ADN n’a été retrouvée sur la scène de crime, aucun vêtement taché de sang n’a été découvert chez lui. Un de ses amis a pourtant indiqué aux enquêteurs que Youssef s’était confié le soir même du meurtre. « Je l’ai fumée… », lui aurait-il avoué. « Il m’a dit qu’il est parti voir Shaïna au squat des jardins avec un couteau, une paire de gants et une bouteille d’essence. “J’y allais pour la tuer parce qu’elle était enceinte de moi”. (…) il lui a demandé de se déshabiller comme d’habitude, ce qu’elle a fait. Une fois toute nue, il lui a mis plusieurs coups de couteau », précise-t-il lors d’une confrontation. « Menteur », rétorque Youssef.

« Grand détachement »

Des mensonges, affirme-t-il encore, les témoignages de codétenus – il a été placé en détention provisoire – qui ont rapporté qu’il se vantait de son geste, préférant prendre « trente ans plutôt que d’être le père d’un bâtard (…), d’un fils de pute ». L’expertise psychologique a mis en lumière « une grande froideur » et un « grand détachement » vis-à-vis des faits. Quid, également, des recherches exhumées de son ordinateur : « jugement pénal », « jugement cour d’assises »… ? Au cas où on voudrait lui faire porter le chapeau, explique-t-il.

Et comment expliquer les rougeurs au visage et aux jambes constatées tant par ses proches que par les policiers lors de son interpellation ? A son confident le soir des faits, Youssef aurait indiqué avoir été victime d’un « retour de flamme » alors qu’il venait d’enflammer les cheveux de Shaïna après avoir aspergé son corps d’essence. Faux, rétorque-t-il devant le juge d’instruction : il s’agit simplement d’eczéma. Le médecin qui l’a examiné lors de sa garde à vue est pourtant formel : « les lésions (…) sont induites par le processus de carbonisation ». Contactés, ses avocats n’ont pas donné suite à nos appels.



« Dans ce drame, chaque affaire a ouvert la voie à la suivante, jusqu’au drame qu’on connaît, souffle Me Negar Haeri. Pourtant, Shaïna et sa famille ont donné l’alerte, plusieurs fois. Ils n’ont pas été pris au sérieux. Ça montre jusqu’où peut mener l’aveuglement. » Théoriquement, en tant que mineur, la peine maximale encourue par Youssef est de vingt ans de réclusion criminelle. Mais le tribunal pourrait, compte tenu de son âge - 17 ans au moment des faits - demander à faire tomber « l’excuse de minorité », ce qui le placerait sur le même quantum de peine qu’un adulte. A savoir, pour un assassinat, la réclusion criminelle à perpétuité.

* Les prénoms ont été changés, les mis en cause étant mineurs au moment des faits

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