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Les arguments spécieux de Didier Raoult pour défendre son étude sur l’hydroxychloroquine

Accusé d’avoir mené une étude thérapeutique « sauvage », le professeur marseillais a défendu son travail dans une tournée médiatique où il a tordu les faits à son avantage.

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Publié le 05 juin 2023 à 14h41, modifié le 05 juin 2023 à 16h23

Temps de Lecture 4 min.

Didier Raoult se défend sur BFM-TV, le 31 mai 2023.

Ce devait être l’article phare qui allait prouver l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 : au début d’avril, Didier Raoult et ses équipes ont mis en ligne une ambitieuse étude portant sur plus de 30 000 malades, menée par l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. Le 2 juin, le professeur, désormais à la retraite, a fini par annoncer sur Twitter son retrait, « par solidarité avec le professeur Lagier, menacé par la direction ».

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé son intention de saisir la justice concernant cette étude, qui est vivement critiquée depuis le 28 mai. Plusieurs organisations médicales ont publié une tribune dans Le Monde accusant Didier Raoult d’avoir mené le « plus grand essai thérapeutique sauvage connu ». Elles lui reprochent d’avoir continué à administrer l’hydroxychloroquine dans le cadre d’une expérience scientifique en dehors de toute autorisation.

Une « tribune d’imbéciles », a balayé l’intéressé, interrogé sur BFM-TV. Ces derniers jours, Didier Raoult a longuement défendu sa méthode, son style et ses résultats dans une tournée médiatique qui l’a amené à s’exprimer sur la chaîne d’information en continu mais aussi sur des médias qui l’ont soutenu, comme Sud Radio, le site covidosceptique France-Soir, l’émission « Touche pas à mon poste » (« TPMP », sur C8) ou la WebTV de l’Union populaire républicaine (UPR), le parti souverainiste de François Asselineau. Il y a présenté les faits à son avantage, quitte à s’arranger avec la réalité.

Lire l’enquête : Article réservé à nos abonnés Didier Raoult : révélations sur une déviance scientifique

Le blâme oublié de décembre 2021

Face à ceux qui lui reprochent d’avoir mené un essai non autorisé en continuant à prescrire de l’hydroxychloroquine malgré les nombreux désaveux, le chercheur oppose qu’il a « parfaitement le droit de prescrire hors AMM », l’autorisation de mise sur le marché, qui donne également le cadre dans lequel un médicament est censé être prescrit, en accord avec les données scientifiques disponibles.

La liberté de prescription est en effet défendue par le code de la santé publique, et de nombreux médicaments sont prescrits hors AMM, notamment en pédiatrie. Sur France-Soir, M. Raoult explique même que le conseil de l’ordre des médecins, devant lequel il a comparu en décembre 2021, a confirmé qu’il était en droit de prescrire de l’hydroxychloroquine. Il avait pourtant été sanctionné d’un blâme, pour avoir justement fait la promotion du médicament sans preuve scientifique suffisante, faisant prendre des risques inconsidérés à ses patients. Le conseil de l’ordre avait ensuite fait appel, non pour annuler la sanction mais pour l’alourdir.

Une méthode marquée par des biais

Autre ambiguïté, la méthodologie de sa dernière étude portant sur 30 423 patients pris en charge à l’IHU de Marseille. « Pour pouvoir voir des différences, il faut des effectifs suffisants », avance Didier Raoult sur Sud Radio. Des propos contradictoires avec ceux qu’il tenait en juin 2020 : en « très bon méthodologiste », il déclarait que « tout essai qui comporte plus de 1 000 personnes est un essai qui cherche à démontrer quelque chose qui n’existe pas ».

Les détracteurs de Didier Raoult, qui lui reprochaient des études sur de trop petits effectifs, doivent lui reconnaître cette fois une puissance statistique plus satisfaisante. Cette étude souffre néanmoins du même biais de sélection : les patients présentant une contre-indication, notamment cardiaque, à l’hydroxychloroquine ont été placés dans le groupe témoin (ceux qui ne reçoivent pas le traitement), alors que par définition ils risquent plus de contracter des formes graves du Covid-19, faussant la comparaison.

Bien d’autres biais rendent ses autocongratulations fragiles. « Vous savez quel est le taux de mortalité des patients atteints de Covid à l’IHU ? C’est 10 %. Toutes les études qui ont été publiées ailleurs ont des taux de mortalité de 20 % », affirmait-il sur le plateau de « TPMP ». Mais, comme le souligne sur Twitter l’épidémiologiste Mahmoud Zureik, la comparaison ne tient pas, parce que l’IHU ne possède pas d’unité de soins intensifs : les cas les plus graves ont donc été transférés dans d’autres hôpitaux marseillais, ce qui réduit le taux de mortalité.

Des sources douteuses ou lues à rebours

Dans ses interventions médiatiques, M. Raoult a aussi cité des sources douteuses, comme l’agrégateur c19early.org, en expliquant que sur les « 2 600 études analysées » concernant « 500 000 patients », dont 393 études centrées sur l’hydroxychloroquine, « ils trouvent une efficacité qui est la même que la nôtre ».

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Sauf que c19early.org n’a rien d’une revue scientifique. Ce site Internet anonyme référence de manière automatisée toutes les études parues sur le sujet, comme avant lui c19hcq.org et hcqtrial.com, ou ses cousins c19zinc.com et c19vitamind.com. Ce réseau opaque et peu scrupuleux met sur le même pied des études de qualités très disparates, et tord régulièrement leurs conclusions en faveur de l’hydroxychloroquine. Un réseau considéré comme peu fiable par l’observatoire américain de la désinformation NewsGuard.

Le microbiologiste cite aussi des sources plus sérieuses, comme une étude observationnelle de l’AP-HP parue en mai 2020 dans le British Medical Journal. « Si vous regardez cette étude de [l’immunologue français Matthieu] Mahévas, explique-t-il sur BFM-TV, il y a quelques personnes qu’il a traitées par hydroxychloroquine et azithromycine, pour lesquelles il y a une différence significative pour la prévention de la réanimation et la prévention de la mort. » Or l’étude dit doublement le contraire, proteste son auteur. D’une part, l’association entre hydroxychloroquine et azithromycine n’y est pas évaluée, en raison notamment d’effectifs trop marginaux – une interprétation qu’a toujours contestée Didier Raoult ; d’autre part, au niveau global, elle donne tort à l’infectiologue. « La conclusion, c’est que l’hydroxychloroquine, à la dose recommandée par Didier Raoult, ne modifiait ni le nombre de passages en réanimation, ni la survie. Il n’y a donc aucun effet », résume M. Mahévas auprès du Monde.

Exagérations complotistes

Pour expliquer le procès fait à son traitement, le professeur émérite dénonce à plusieurs reprises une industrie pharmaceutique devenue trop puissante, avec des enjeux financiers trop élevés. « Bien sûr qu’il y a des risques considérables de corruption », explique-t-il sur le site de l’UPR, citant les lourdes amendes, bien réelles, payées par Pfizer pour fraude, ou les manipulations de données pour le médicament Vioxx, au début des années 2000.

Mais le fantasme conspirationniste n’est jamais loin, comme lorsqu’il déclare, pour expliquer les articles critiques dont il fait l’objet, que « les subventions de la presse française par l’industrie pharmaceutique sont considérables » – il semble au mieux faire une confusion avec les subventions de l’Etat à la presse, au pire inventer complètement.

De même, il répète que la décision de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’arrêter les essais concernant l’hydroxychloroquine a été prise après la publication d’une étude frauduleuse, « un faux grossier », dans The Lancet, en mai 2020. Cette étude a en effet été remise en cause, mais Didier Raoult oublie de préciser que de nombreuses publications avaient déjà mis en évidence, les semaines précédentes, la potentielle toxicité de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine, aux Etats-Unis comme en France, et que leur inefficacité avait déjà été relevée, y compris par des chercheurs rattachés à l’IHU marseillais.

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