récap'Bizutage mortel, « une justice de classe »… Retour sur l’affaire Sanda Dia

Bizutage mortel en Belgique : Entre torture et « justice de classe », retour sur l’affaire Sanda Dia

récap'Les 18 accusés ont été condamnés vendredi à des travaux d’intérêt général et une amende 400 euros, suscitant l’indignation dans le pays
Des manifestants brandissent des portraits alors qu'ils participent à un rassemblement contre la sentence clémente prononcée par un tribunal belge à l'encontre d'étudiants tenus pour responsables de la mort de Sanda Dia, à Bruxelles, le 4 juin 2023.
Des manifestants brandissent des portraits alors qu'ils participent à un rassemblement contre la sentence clémente prononcée par un tribunal belge à l'encontre d'étudiants tenus pour responsables de la mort de Sanda Dia, à Bruxelles, le 4 juin 2023. - Kenzo TRIBOUILLARD / AFP
Cécile De Sèze

C.d.S avec AFP

L'essentiel

  • Environ 1.500 personnes ont manifesté dimanche à Bruxelles et à Gand en mémoire de Sanda Dia, l’étudiant métis mort à la suite d’un bizutage en 2018.
  • Les manifestants ont dénoncé le jugement clément dont ont bénéficié à leurs yeux les membres du cercle étudiant à l’origine du drame.
  • 20 Minutes revient sur cette affaire qui secoue la Belgique.

Dix-huit accusés, 18 condamnations. Aucun acquittement n’a été prononcé vendredi pour les camarades d’école de Sanda Dia, étudiant belge décédé à la suite d’un bizutage violent. Les peines prononcées par la cour d’appel d’Anvers ont toutefois suscité l’émotion. Les 18 accusés ont été condamnés à des heures de travaux d’intérêt général ainsi qu’à 400 euros d’amende pour coups et blessures ayant involontairement entraîné la mort. Une sentence jugée clémente par la famille ainsi que par des centaines de personnes descendues dans la rue dimanche pour protester contre le jugement rendu. Circonstances de la mort, origines sociales des accusés, peine prononcée… Retour sur cette affaire qui secoue la Belgique.

Quand et comment Sanda est-il décédé ?

Anversois né d’un père mauritanien, Sanda Dia, 20 ans, entamait ses études d’ingénieur à la prestigieuse université catholique de Louvain (KU Leuven) à l’automne 2018. Le 4 décembre, au lendemain d’une épreuve de vente de roses dans la rue dont il était ressorti mal classé, il avait dû ingurgiter une quantité phénoménale d’alcool. L’enquête a montré qu’après plusieurs bières, il avait bu à lui seul un litre de gin, et que l’objectif était de ne pas le laisser dessaouler. Le robinet du lavabo de son appartement de Louvain avait été scellé au ruban adhésif pour l’empêcher de s’hydrater.

Le lendemain, les épreuves s’étaient poursuivies autour d’un chalet isolé de la périphérie d’Anvers. Cette fois, le « bizut » devait séjourner dehors dans le froid dans un trou rempli d’eau glacée, après avoir avalé une mixture à base d’huile de poisson. Lors de ce bizutage infernal, l’étudiant a également été soumis à « l’ingestion forcée de bouillie pour chien et d’une souris malaxée, de torture animale et d’arrosage à l’urine », raconte Le Monde. Quand Sanda Dia est admis le 5 décembre au soir aux urgences d’un hôpital proche, la température de son corps est tombée à 28,7 degrés, une hypothermie rendant « toute prise de sang impossible », a raconté lors du premier procès en 2021 l’un des médecins l’ayant examiné.

L’étudiant est rapidement transféré en soins intensifs dans un autre hôpital. Son décès est constaté le 7 décembre. L’œdème cérébral fatal résulte de teneurs en sodium anormalement élevées dans son corps, selon le dossier médical.

Quelles sont les peines prononcées ?

Des peines allant de dix-huit à cinquante mois de prison avaient été réclamées en mars, lors du procès devant la cour d’appel d’Anvers (nord). Mais la cour a été plus clémente, écartant notamment la prévention d'« administration de substance nocive ayant entraîné la mort. » Une référence à la mixture très salée à base d’huile de poisson qu’avait dû ingurgiter le « bizut », et dont les médecins ont estimé qu’elle était la cause de l’œdème cérébral fatal.

Les 18 étudiants de la fraternité des Reuzegommers sont renvoyés en correctionnelle deux ans après les faits. Tous sont finalement tous reconnus coupables de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. » Ils écopent selon les cas de 200, 250 ou 300 heures de travaux d’intérêt général – des « peines de travail » selon la terminologie belge –, ainsi que de 400 euros d’amende, sans compter les milliers d’euros de dommages et intérêts dus aux parties civiles. Outre l’administration de substance nocive, la cour a aussi écarté la prévention de « non-assistance à personne en danger. » Les membres de la fraternité Reuzegom à l’origine du bizutage « ont fait le nécessaire dès qu’ils ont vu qu’il était en danger », a commenté une porte-parole de la cour d’appel citant les motivations de l’arrêt. Après l’épisode du puits d’eau glacée, « ils lui ont donné des vêtements secs, ont essayé de le réchauffer ».

Comment a réagi la famille de Sanda Dia ?

La décision a été accueillie par la famille Dia avec « soulagement » et « frustration », selon les mots de Sven Mary, avocat du père. Lors du procès, ce dernier, Ousmane Dia, avait dit que mettre les coupables en prison « ne lui rendrait pas son fils », a rappelé l’avocat. Toutefois, « ils n’ont pas reçu les réponses qu’ils espéraient, en raison notamment du silence des Reuzegommers », a déploré Me Mary. Il a fustigé l'« omerta » qui a régné durant toute la procédure au sein du cercle étudiant à l’origine de ce bizutage. L’avocat estime par ailleurs dans une interview au média belge Humo « que le long cheminement juridique a joué en faveur des Reuzegommers ».

Sven Mary va un peu plus loin dans l’interprétation du jugement. Cette fraternité, dissoute depuis, rassemblait des jeunes issus de milieux favorisés qui entendent faire carrière à grandes responsabilités. Les accusés ne font pas exception. Or, « si leur casier judiciaire contient les mots "homicides accidentels" et "traitements dégradants", cela aura un impact sur leurs possibilités d’emploi », analyse encore l’avocat dans la presse belge : « ces gars-là aussi veulent tous occuper des postes à responsabilité : juge, entrepreneur, politicien. Eh bien, je pense que les gens devraient savoir ce que les politiciens ont fait dans leur vie s’ils veulent voter pour eux. »

Pourquoi les Belges ont-ils manifesté ?

Environ 1.500 personnes, en grande partie des étudiants et des familles, ont manifesté dimanche à Bruxelles en mémoire de l’étudiant métis. « Justice for Sanda », « le silence tue », pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les manifestants dans la capitale belge. Une autre manifestation a réuni dimanche après-midi un millier de personnes à Gand, en Flandre (nord), selon la police locale citée par l’agence de presse Belga. Elle était organisée par plusieurs associations de lutte contre les discriminations.

L’un des organisateurs du rassemblement bruxellois, Jean Kitenge, a dénoncé auprès de l’AFP « une justice de classe ». « Est-ce que la sentence aurait été la même si les auteurs avaient été comme moi noir ou maghrébin ? », a-t-il interrogé, appelant aussi à « cadrer davantage les folklores étudiants. » Cet étudiant belgo-congolais, se disant touché à titre personnel par l’affaire, a rappelé que Sanda Dia n’était pas du même milieu social et de la même couleur de peau que les organisateurs du bizutage. Des fils de « l’élite » flamande, selon lui. Le rassemblement était symboliquement organisé devant le Palais de justice de Bruxelles, neuf jours après l’épilogue judiciaire, à Anvers (nord), de ce dossier qui a eu un gros retentissement, particulièrement en Belgique néerlandophone.

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