MOBILISATIONFace aux polluants éternels, victimes et associations saisissent la justice

Polluants éternels : Des victimes et des associations saisissent la justice

MOBILISATIONL’ONG Générations Futures va déposer plainte dans trois régions polluées par les PFAS. Près de Lyon, une quarantaine d’associations et de victimes ont saisi la justice pour exiger, cette fois, des sanctions contre l’usine Arkema
Les associations et victimes ont déposé un référé pénal environnemental le 25 mai 2023 à l'encontre d'Arkema qui produit des Pfas, des perfluorés et polyfluorés, dans la commune de Pierre-Bénite, au sud de Lyon (Illustration)
Les associations et victimes ont déposé un référé pénal environnemental le 25 mai 2023 à l'encontre d'Arkema qui produit des Pfas, des perfluorés et polyfluorés, dans la commune de Pierre-Bénite, au sud de Lyon (Illustration) - AFP / AFP
Fabrice Pouliquen et Élise Martin

Fabrice Pouliquen et Élise Martin

L'essentiel

  • Fin mai, 37 habitants de la vallée de la chimie, située près de Lyon, et dix associations ont saisi la justice pour obtenir des sanctions contre l’usine Arkema accusée de déverser des Pfas, « polluants éternels » dans l’eau.
  • Lundi, l’ONG Générations futures a également déposé plainte contre X pour pollution des eaux, atteinte à l’environnement et aux poissons dans trois régions françaises : les Hauts-de-France, la Bourgogne-Franche-Comté et les Pays de la Loire.
  • Plusieurs enquêtes journalistes et analyses ont révélé que ces composants chimiques seraient à l’origine de nombreuses maladies.

« Quand on habite dans une zone de grande concentration d’industries, on vit avec des sirènes dans la tête, préparée aux accidents, s’exclame Claudie Grizard, 64 ans. Mais on ne s’attend pas à ce genre de dangers pour notre santé. » Le danger ? Ce sont les per- et polyfluoroalkylées (Pfas), autrement dit les « polluants éternels ». Des composants chimiques, utilisés par les industriels, rejetés ensuite dans l’eau ou dans l’air. Très résistants à la dégradation dans l’environnement et très mobiles, ils se nichent souvent dans les aliments consommés.

Dans la région de Lyon, il est aujourd’hui déconseillé de manger des poissons pêchés dans le Rhône et le Garon, les œufs de plusieurs communes, ainsi que certains légumes. « Il ne reste que l’air que l’on respire ? », questionne Claudie qui réside depuis quarante ans de la vallée de la chimie, l’une des zones les plus contaminées par les Pfas en France. Elle fait partie des trente-sept riverains, dont seize enfants, ayant décidé de saisir la justice le 25 mai dernier à travers un « référé pénal environnemental » pour que « les pollueurs prennent enfin leurs responsabilités ».

Mesurer « l’ampleur des contaminations »

En première cible, le site Arkema à Pierre-Bénite. Les requérants exigent une étude sur les risques sanitaires liés à ces « polluants éternels » pour mesurer « l’ampleur des contaminations ». Mais aussi des sanctions contre l’industriel afin qu’il cesse de déverser ses polluants dans l’eau.

Depuis mai 2022 et les révélations du documentaire de France Télévisions, les analyses et les enquêtes se multiplient autour des Pfas, soupçonnés d’être à l’origine de nombreuses maladies.




Si Claudie s’est engagé dans la procédure contre Arkema, c’est surtout parce qu’elle s'« inquiète pour [ses] filles et [ses] petits-enfants ». D’après le dernier rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), plusieurs « polluants éternels » agissent comme des perturbateurs endocriniens et favorisent également l’apparition de graves pathologies au niveau du foie, du pancréas ou encore de la rate.

« On sait que ces polluants peuvent provoquer des cancers de la thyroïde et des testicules, développe Camille Panisset, secrétaire générale de la branche lyonnaise Notre affaire à tous - qui a impulsé cette action en justice. Parmi les habitants, un enfant de moins de deux ans a été victime d’un cancer des testicules. »

L’association souhaite obtenir « des prises de sang et des analyses payées par Arkema » sur le lait maternel ou les denrées alimentaires de producteurs bio et non-bio afin d'« évaluer une contamination qui aurait pu être évitée ». « Les personnes impactées aimeraient connaître l’imprégnation de ces composants dans leur organisme pour savoir si un lien est établi avec ces maladies », insiste Camille Panisset. Une enquête de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes a justement révélé une très forte présence des Pfas dans le sang des riverains du site Arkema. Mais le groupe affirme dans un communiqué que « le site de Pierre-Bénite respecte toutes les réglementations quant à ses rejets industriels et est régulièrement contrôlé par les autorités », ajoutant qu’il « ne fait l’objet d’aucun arrêté de mise en demeure à ce jour ».

350.000 personnes touchées par ces pollutions

« L’objectif du référé est d’obtenir des réponses », rebondit l’avocate Louise Tschanz, dénonçant un « laxisme grave de la part de l’Etat et une espèce de banditisme sanitaire et environnemental d’Arkema », qui connaissait la situation depuis 2011, selon elle. Cette action n’est « que le début d’un scandale d’une immense ampleur », prédit-elle, estimant à 350.000, le nombre de « personnes potentiellement concernées ».

Effectivement, il n’y a pas que dans la région lyonnaise que la pollution aux Pfas fait l’objet de procédures en justice. Ce lundi, l’ONG Générations Futures a annoncé déposer plusieurs plaintes contre X pour pollution des eaux, atteinte à l’environnement et aux poissons dans trois régions françaises : les Hauts-de-France, la Bourgogne-Franche-Comté et les Pays de la Loire.

Pour la première plainte, l’association s’appuie sur des mesures qu’elle a fait réaliser dans les eaux de l’Oise, le long de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul, près de Creil. Plusieurs industriels y sont implantés, dont Arkema déjà pointé du doigt à Pierre-Bénite. « Cette plateforme faisait partie des « hotspots » de pollution aux Pfas sur la carte révélée par Le Monde, en février dernier », précise François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.

« Pas d’amélioration en une décennie »

Les analyses le confirment. « Alors qu’en amont, on trouve très peu de PFAS, de l’ordre de 7,5 nanogrammes par litre (ng/l), cette concentration grimpe à 4.100 ng/l là où se font principalement les rejets industriels, détaille François Veillerette. C’est colossal. » Cinquante mètres en aval du site, la concentration était encore de 1.100 ng/l. « Ce qui reste très important ».

Générations Futures rappelle alors, qu’il y a dix ans, l’Anses avait déjà fait des prélèvements dans la même zone. Elle avait alors relevé des niveaux de pollution aux Pfas comparables à ceux trouvés aujourd’hui. « On peut s’étonner que la situation ne se soit pas améliorée dans la décennie », pointe François Veillerette, selon laquelle ces résultats illustrent l’inaction de l’État dans ce dossier.

La deuxième plainte de Générations Futures cible la zone de Tavaux dans le Jura, qui accueille une usine de Solvay, l’un des cinq producteurs français de Pfas. La troisième vise la zone de Paimboeuf en Loire-Atlantique pour laquelle des données du rapport de l’Igedd montraient des rejets importants de PFOS.

« Il y a un gros manque de données sur ces pollutions de Pfas et en déposant plainte contre X, l’espoir est aussi que l’enquête pénale qui sera lancée permettra de mettre en lumière l’étendue de ces pollutions ainsi que l’étendue des violations des différents acteurs impliqués », justifie Maître Hermine Baron, l’avocate de Générations Futures dans cette affaire. L’ONG laisse entendre que d’autres plaintes similaires pourraient suivre encore concernant d’autres sites.

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