INTERVIEW« J’ai toujours peur d’emmerder le monde », redoute Amanda Lear

« J’ai toujours peur d’emmerder le monde », redoute Amanda Lear

INTERVIEWAlors qu’elle poursuit le tournage de « Maison de retraite 2 », Amanda Lear se réjouit de la nouvelle popularité de son tube « Follow Me », choisi par Chanel pour un spot de pub… Cela faisait déjà deux bonnes raisons de nous entretenir avec elle
Amanda Lear au Festival de Venise (Italie), le 6 septembre 2022.
Amanda Lear au Festival de Venise (Italie), le 6 septembre 2022.  - Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA / Sipa
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • Amanda Lear est actuellement en tournage de la comédie Maison de retraite 2, écrite par Kev Adams et réalisée par Claude Zidi Jr. Elle a réédité en avril Let Me Entertain You, son album sorti en 2016 et son tube Follow Me connaît une nouvelle jeunesse depuis qu’il habille la campagne du parfum Coco Mademoiselle de Chanel.
  • « Je veux surprendre. Il faut tout le temps arriver là où on ne vous attend pas », a confié Amanda Lear à 20 Minutes.
  • Au sujet de l’époque actuelle, elle répond : « J’ai un pote astrologue qui m’a dit que la configuration astrale actuelle est la même qu’en 1789. Pourquoi pas une bonne révolution ? On ne coupera plus la tête au roi parce qu’il n’y a plus de guillotine. Ce ne sera pas la fuite à Varennes, mais la fuite au Touquet. »

Amanda Lear a déjà eu mille vies. Mannequin, chanteuse, animatrice, actrice, peintre… Son CV brasse large. D’interviews en interviews, elle s’est sans cesse racontée, tissant sa légende d’anecdotes drôles, parfois incroyables, souvent captivantes. Ex de David Bowie ou de Salavador Dali ou plutôt star du disco et grande gueule des « Grosses Têtes »… Côté grand public, chacun et chacune a son idée sur la star. « Amanda Lear, c’est un portemanteau, sur lequel les gens collent tous leurs fantasmes, déplore la principale intéressée, que 20 Minutes a rencontré fin mai à l’hôtel Meurice, à Paris. Beaucoup n’ont pas compris cette personnalité complexe, qui a beaucoup de sensibilité, d’angoisses, de choses qu’elle ne veut pas exprimer parce qu’elle est censée être une sexy rigolote. Il y a plein de choses que les gens devraient découvrir. » Pendant l’entretien, Amanda Lear semble cependant rester dans son rôle, répondant à chaque question avec humour et une pointe de sarcasme. La « vraie » Amanda est peut-être à découvrir entre les lignes d’une interview qui a plutôt pris la forme d’une discussion.

Vous venez de tourner « Maison de retraite 2 », écrit par Kev Adams. Cela s’est bien passé ?

Il me reste quatre ou cinq jours de tournage en juin. L’équipe est très sympathique, on est bien logés, on tourne dans un endroit magique au bord de la mer, à Toulon. Le seul truc, c’est qu’il n’y a que des vieux, quoi (rires). Il y a Liliane Rovère, Marthe Villalonga, Enrico Macias. Il y a bien deux ou trois jeunes comme Jarry et Chantal Ladesou qui me font rigoler ou Jean Reno, très sympa, qui est mon voisin en Provence, mais, dans l’ensemble, c’est surtout des gens très âgés. Je ne savais pas ce que j’allais foutre dans ce film, moi. Déjà le titre, Maison de retraite, c’est même pas la peine… Alors Kev Adams m’a expliqué qu’il m’écrirait un rôle sur mesure, rigolo, décalé, pas du tout celui d’une vieille. Moi, je suis plutôt comédies anglaises ou américaines. Les grosses comédies françaises, Les Tuches, les Bodin’s, Les Chevaliers du Fiel pour moi c’est pas des… hein.

Mais cela vous plaît de faire du cinéma ?

On ne pense pas toujours à moi pour le cinéma ou alors il y a un côté caricatural, ils voient Absolutely Fabulous. C’est forcément la cougar qui fume, qui boit, qui drague des jeunes… C’est bien joli, je pourrais ne tourner que ça, mais ça me fait chier. C’est pour ça que j’ai accepté un rôle tragique au théâtre, avec Michel Fau, j’ai accepté un rôle tragique [il y a deux ans, dans Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ? elle incarnait la seconde]. ça changeait de la sexy rigolote des « Grosses Têtes ». Au bout d’un moment ça va…


L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies


Votre singularité, c’est aussi votre franc-parler…

Il y a ça qui plaît beaucoup aussi, la bonne cliente qui balance des vannes, ça, ça fait rire les gens. C’est comme ça d’ailleurs que j’ai fait mon succès à la télé italienne. Je me suis aperçue que le public féminin est très important, parce que ce sont les femmes qui ont la zappette. Moi-même, parfois, j’en vois une à la télé, je me dis : « Elle m’énerve celle-là, je peux pas la voir » et hop, je zappe. Si vous énervez les bonnes femmes, elles ne vous regarderont pas. Donc dès le départ, j’ai compris qu’il fallait créer un personnage qui leur plaise : une femme qui dit ce qu’elle pense, qui n’en a rien à foutre, qui envoie chier le mec…

Avec un côté séductrice qui leur plaît aussi ?

Non, elles rêvent d’être comme moi. Je vois les lettres que je reçois. Elles me disent que je leur plais, que je suis élégante, qu’elles aimeraient que je leur enseigne comment séduire les hommes… Elles croient que tout le monde est à mes pieds. Non. Malheureusement. Les bonnes femmes veulent des modèles. Tout à l’heure, une journaliste me disait que j’étais le symbole des filles d’aujourd’hui qui sont libres, gagnent leur vie elles-mêmes, payent leur restaurant elles-mêmes, font ce qu’elles veulent, s’habillent comme elles veulent. C’est vrai. Il y a eu une évolution. Pour moi, dépendre d’un mec, c’est le pire ! C’est d’une humiliation, c’est épouvantable. Les femmes d’aujourd’hui ont envie d’être indépendantes, plus agressives, d’aller draguer les mecs… Avant on n’osait pas. Moi, j’ai toujours été rebelle. Je n’aime pas les conventions, je n’aime pas la bourgeoisie, je n’aime pas les traditions.

Vous parliez à l’instant de votre popularité en Italie. Vous y êtes appréciée pour les mêmes raisons qu’en France ?

En Italie, j’ai eu un énorme succès avec la chanson Tomorrow (Voulez-vous un rendez-vous ?) [sortie en 1977]. Silvio Berlusconi m’a contactée au début des années 1980 et pendant une douzaine d’années, j’étais sa star à la télévision. C’était à l’époque où il était un bon patron de chaîne et ne faisait pas de politique. Après il a pété les plombs. J’étais donc connue comme animatrice et chanteuse. La télé de Berlusconi était luxueuse, époustouflante, avec de jolies robes et des perruques, ça faisait rêver les Italiens… C’était super bien payé en plus.

Il y a deux ans, le groupe italien Maneskin vous a invitée à chanter en duo avec lui au Festival de Sanremo et vous avez refusé. Vous regrettez d’avoir décliné la proposition ?

Oui, c’est le genre de connerie… C’est ma faute ! Les Maneskin m’appellent et me demandent de chanter en duo avec eux. Je n’en avais jamais entendu parler, alors je suis allée sur Google, j’ai vu des mecs tous maquillés, je me suis dit « oh la la qu’est-ce que c’est que ça ? » Je leur ai demandé beaucoup d’argent. Evidemment, ils se sont vexés, parce qu’ils sont très connus en Italie. Ça ne s’est donc pas fait. Moralité, ils ont gagné non seulement le Festival de Sanremo, mais aussi l’Eurovision dans la foulée et maintenant c’est le plus grand groupe de rock du monde. Mes amis m’ont dit que j’avais été conne. Mais je suis restée en bons termes avec eux. Damiano [David, le chanteur] m’envoie encore des textos.

Si Maneskin vous proposait à nouveau ce duo, vous accepteriez ?

Alors ça m’étonnerait qu’ils me demandent ! Je ne suis pas nostalgique, le passé, je n’en ai rien à cirer. Je ne possède aucun de mes albums. Ce qui m’intéresse, c’est demain : est-ce que je vais faire un duo avec Kanye West ou je ne sais pas qui… Je veux surprendre. J’ai toujours peur d’emmerder le monde. Il faut tout le temps arriver là où on ne vous attend pas. C’est pour ça que j’ai joué Joan Crawford, que j’ai fait un album en français… Si c’est pour refaire tout le temps la même chose… Je ne fais plus « Les Grosses Têtes » pour cette raison. Je les ai faites pendant dix ans, ça va, on le sait que je connais des histoires drôles.

Cela n’a donc rien à voir avec le fait que Laurent Ruquier a repris les rênes du programme ?

Il y a de ça aussi. Laurent est un copain mais je suis très fidèle et loyale en amitié et, pour moi, « Les Grosses Têtes », c’est Bouvard. Je le ferais si l’émission s’appelait autrement, « La bande à Ruquier », par exemple… Mais le fait qu’il ait repris le titre, c’est pas vrai, c’est pas son émission…

Vous pensez à la postérité ? A ce que vous allez laisser derrière vous ?

Ah ah ah. Je vais tout laisser à mes chats. Comme je ne vieillis pas, je ne pense pas du tout à l’avenir. Je vis au présent. Je suis très curieuse. Je pense qu’on vieillit quand on n’a plus d’enthousiasme et qu’on ne s’intéresse plus à rien. Avoir une vie sociale, c’est important. Je vis au jour le jour. Tout le monde me veut. Plus je dis non et plus on me veut. J’ai passé des années à côté du téléphone et il n’a jamais sonné. Et puis, à la minute où j’ai dit que je ne voulais plus rien faire, on a commencé à m’appeler (rires).

Quel est le projet le plus farfelu qu’on vous ait proposé ?

Fernando Arabal, un dramaturge espagnol très scandaleux, m’a contactée il y a trois ans parce qu’il avait écrit une pièce qui s’appelle Dali vs Picasso. Il les met en scène tous les deux en train de s’affronter devant Guernica. Il voulait que je joue ce spectacle à Paris. J’ai demandé si je tiendrais le rôle de Gala [Dali]. Il me répond : « Non, vous allez jouer Dali » (rires) Il voulait que je joue avec des moustaches. Ça ne s’est pas fait, mais c’est pour dire qu’il y a des gens très bizarres.

Vous n’êtes pas nostalgique, mais le passé vient de ressurgir dans votre actualité. « Follow Me » connaît une nouvelle vie depuis que Chanel l’a choisie pour habiller son spot de pub du parfum « Coco Mademoiselle » en début d’année. Ce nouveau succès vous surprend ?

J’ai été surprise quand Chanel m’a contactée parce que c’est une chanson que j’ai écrite il y a quarante ans. Pour eux, Follow Me représente la nuit, le mystère, la séduction… Le problème, c’est que les gens croient que je suis devenue multimilliardaire avec ça. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que j’ai une maison de disques allemande redoutable qui en prend la moitié dès le départ. Le reste, je le partage avec les compositeurs, donc à la fin, s’il me reste 5.000 euros et un sac Chanel, c’est bien tout. Ce qui est marrant, c’est que comme la pub passe cinquante fois par jour dans le monde entier, les gens vont sur Shazam pour découvrir ce que c’est et ils vont acheter l’album. Là, on est à 2 millions de streams sur Spotify, c’est inespéré. Je suis entrée dans les charts en Corée du Sud alors que c’est un truc vieux de quarante ans et que j’ai fait vingt albums entre-temps. Moi qui ai envie de faire des choses nouvelles, à chaque fois on me demande de rechanter les mêmes trucs. Quand vous avez un tube qui est collé à vous, vous en êtes prisonnier.

Qu’est-ce que vous aimeriez chanter ?

Des textes en français, d’auteurs. A l’image de La Rumeur, qui m’a été offert par Alexis Michalik [en 2016]. Pour moi, une chanson, c’est le texte avant tout. Ce que je n’aimais pas dans le disco, c’est que les paroles n’avaient aucun intérêt, c’est répétitif : « I love you baby, I love you baby, I love you baby… », ça ne veut rien dire. Les Beatles, en revanche, par exemple, racontent une histoire à chaque morceau. C’est ça que j’aime dans la chanson française et c’est pour ça que j’ai rendu hommage à Gainsbourg, Trenet ou Moustaki…

Vous avez réédité en avril votre album « Let Me Entertain You ». Parce que notre époque a besoin de légèreté ?

Oui, je dis « Laissez-moi vous divertir ». J’ai choisi ce titre pour bien préciser que nous, artistes, sommes là pour vous divertir de votre quotidien minable, de votre feuille d’impôts, votre note de gaz, d’électricité… Oubliez tout ça ! On va vous faire rire, rêver, danser. C’est notre métier. Notre rôle, que ce soit en musique, au théâtre, au cinéma, ce n’est pas de prendre des positions politiques.

Donc quand la réalisatrice Justine Triet reçoit la Palme d’or et profite de son discours pour tacler l’attitude du gouvernement sur la réforme des retraites ou plaider pour l’exception culturelle française, vous n’appréciez pas ?

Ce n’était pas l’endroit. Qu’elle fasse ce discours, c’est normal, je comprends très bien, chacun ses opinions. Mais qu’elle le fasse en conférence de presse, pas quand on lui donne la Palme d’or, qu’on l’applaudit pour son film. C’est maladroit.

Vous trouvez notre époque trop crispée ?

J’avais 19 ans, je crois, en mai 1968. J’habitais Saint-Germain-des-Prés, je faisais les Beaux-arts et on montait les barricades boulevard Saint-Germain avec les CRS qui nous tapaient dessus. On croyait qu’on allait changer le monde : « A bas la bourgeoisie ! » Mais ça n’a pas marché, on ne l’a pas changé. Je pense que là, c’est pareil, il y a plein de gens qui veulent changer les choses, les écologistes, etc. Qu’est-ce que vous voulez ? On est malheureusement obligés d’obéir à ces grands qui nous gouvernent, qui ne font que des conneries et nous, on est rien.

Vous êtes résignée ?

Il y a un côté résigné. Attendons, ça passera. Et mourons. Je ne vois pas ce qu’il y a à faire à part la révolution, voilà, bon… J’ai un pote astrologue qui m’a dit que la configuration astrale actuelle est la même qu’en 1789. C’est plutôt une bonne nouvelle. (rires) Pourquoi pas une bonne révolution ? On ne coupera plus la tête au roi parce qu’il n’y a plus de guillotine. Ce ne sera pas la fuite à Varennes, mais la fuite au Touquet. (Elle éclate de rire)

Sujets liés