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"Les Abricots du Donbas" de Luba Yakymtchouk : l'intime à l'épreuve de la guerre en Ukraine
La jeune poétesse ukrainienne Luba Yakymtchouk dresse un état des lieux des vies ukrainiennes, englouties par un conflit qui leur échappe
dpa Picture-Alliance via AFP

"Les Abricots du Donbas" de Luba Yakymtchouk : l'intime à l'épreuve de la guerre en Ukraine

Poésie

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À travers ses vers aux allures de chroniques du quotidien publiés aux éditions des femmes-Antoinette Fouque, la jeune poétesse ukrainienne Luba Yakymtchouk dresse un état des lieux des vies ukrainiennes, englouties par un conflit qui leur échappe.

Depuis presque un an et demi, deux peuples voisins vivent suspendus au décompte des victimes de la guerre en Ukraine et aux transmetteurs de ces informations macabres et factuelles : les médias. Mais les écrivains et les poètes ont aussi un rôle essentiel à jouer, celui d’effectuer un pas de côté en donnant à voir la réalité de ces vies en charpie dans ce qu’elle a de plus cru.

« Détruire des cités, soit matériellement, soit moralement, c’est couper tout lien de poésie et d’amour entre des âmes humaines et l’univers », affirmait Simone Weil dans Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu. La jeune poétesse ukrainienne Luba Yakymtchouk entreprend de penser cette reconstruction poétique en temps de guerre, dans son recueil Les Abricots du Donbas, paru aux Éditions des femmes-Antoinette Fouque.

Un drap noir

Avec une plume affranchie de tout pathos et un ton espiègle, elle observe les conséquences désastreuses du conflit sur les êtres, notamment ceux qu’elle chérit, puisque sa famille a perdu sa maison en 2014 quand la région du Donbass a été occupée par des séparatistes prorusses. Elle évoque, dans un registre intimiste, le retour en 2015 dans cette ville de l’Est, Pervomaïsk, dont le « chemin fleurit de mines ». La ville a changé, vieilli. La maison familiale, elle, « garde nos cheveux blancs […] nous rentrons […] attendus par les parents, les tombes et les murs ».

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Depuis février 2022, plusieurs milliers de civils ukrainiens ont été tués. Entre eux et les soldats, il n’y a pas un monde mais seulement quelques mètres, en fonction de l’endroit où tombe une bombe. La solidarité est de mise :

« Ils ne sont pas là pour nous

Mais nous nous cachons pour ces autres

[...]

Nous courons, les mains entrelacées

Nous nous réfugions sous la couverture

Juste toi et moi. »

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Ceux qui ne prennent pas les armes finissent par ressembler aux militaires, ce qui ne laisse que peu de place à l’individualité propre de tout un chacun : « Je porte sur moi ce gilet pare-balles, et je n’arrive pas à m’en débarrasser. Il est comme ma peau. »

Quant aux militaires, ils sont comparés aux fruits qui mûrissent au printemps au Donbass, ces abricots qui « ont enfilé des casques » et qui « à mesure qu’ils tutoyaient les cieux, dans leurs bottes de caoutchouc, avec des gourdes sans eau, des corps comme des gourdes » se sont « élevés jusqu’aux anges ».

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La guerre peut tout aussi bien resserrer les liens des vivants qui s’unissent dans une héroïque résistance qu’élargir le fossé entre eux. Perdus dans leur propre pays et isolés, comment peuvent-ils se rejoindre, se retrouver, quand le malheur a recouvert chaque pan de l’existence d’un drap noir ? Luba Yakymtchouk s’interroge : « Entre ma mère et moi, des centaines de tombes ont été creusées. Et je ne sais comment les enjamber. » C’est toute l’ambition de la poésie qui, par son effet cathartique, tente de panser les plaies du corps et de l’esprit, sans jamais être certaine d’y parvenir complètement.

Les Abricots du Donbas Luba Yakymtchouk, Les éditions des Femmes-Antoinette Fouque, 195 p., 18 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne