Pour l’Observatoire des inégalités, la "fracture sociale" n’a pas disparu

Les inégalités sociales sont toujours marquées en France, au début des années 2020, en matière de revenus, mais aussi de conditions de travail, de santé, de logement et d’éducation. L’Observatoire des inégalités vient de publier son dernier rapport sur le sujet, consacrant également un chapitre aux inégalités territoriales. L’association appelle à ne pas occulter la question de la "fracture sociale" en général du débat public.

 

"Les inégalités entre les classes sociales demeurent aiguës en France." L’Observatoire des inégalités a publié le 8 juin 2023 la neuvième édition de son Rapport sur les inégalités, qui se veut "un tour d’horizons global des inégalités" en France, "un panorama en plus et en moins" permettant de percevoir ce qui s’aggrave mais aussi ce qui s’améliore, comme l’a présenté Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, lors d’une conférence de presse en visio. Publié tous les deux ans et vendu au prix de 10 euros (voir notre article sur l’édition de 2021), cet ouvrage est complété par des rapports de l’Observatoire sur la pauvreté (voir notre article), sur les riches et, bientôt, sur les discriminations.

Une stabilisation du niveau d’inégalités de revenu entre les plus riches et les plus pauvres

"Le contraste est frappant entre la fracture sociale, qui nourrit d’importants conflits, et les discours médiatiques dominants aujourd’hui qui l’occultent", écrit Louis Maurin en ouverture du rapport. Pour "de très nombreux experts" actuellement, "les inégalités qui comptent sont davantage celles en lien avec la couleur de la peau, l’âge, le genre ou le territoire, et non l'origine sociale", poursuit-il. Sans éclipser ces inégalités réelles autrefois occultées et aujourd’hui fortement mises en avant, et qui bien souvent se conjuguent avec des inégalités sociales, le sociologue appelle à "reconnaître l’importance de cette fracture sociale". Et, si possible, sans mettre uniquement les projecteurs sur les plus pauvres et les plus riches mais avec l’ambition de "retrouver un débat sur la répartition globale des revenus"

Cinq grands thèmes sont examinés dans ce rapport pour aborder les inégalités : les revenus, l’éducation, le travail, les modes de vie et les territoires. En matière de niveau de vie, l’écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est de l’ordre de 3,3 en 2020. Cela signifie que ces inégalités de revenu sont revenues au même niveau qu’en 2005, "après un pic en 2011". Les hommes gagnent toujours plus que les femmes, mais l’écart se réduit (17% de plus en 2020, contre 24% en 2005). En revanche, les inégalités de patrimoine s’accroissent, puisque les 10% des ménages les plus fortunés possédaient en 2021 47% de l’ensemble, contre 41% en 2010.

Baisse du chômage, mais pas de "la précarité du travail"

Concernant le travail, la conjoncture est actuellement "paradoxale", pour l’Observatoire des inégalités, entre une baisse importante du taux de chômage et une forte inflation. L’amélioration de l’emploi bénéficie en premier lieu aux jeunes de moins de 25 ans (17% en 2022 contre 26% en 2015), aux ouvriers peu qualifiés et aux immigrés. En revanche, "la précarité du travail ne diminue guère", souligne l’Observatoire. "Face au manque de bras, les employeurs vont-ils enfin être contraints à relever les bas salaires" et "à améliorer les conditions de travail ?", s’interrogent les auteurs, qui questionnent également le caractère durable de cette baisse du chômage.

Les inégalités face à l’inflation sont évidemment rappelées, du fait du poids de l’alimentation, de l’énergie et du carburant dans les budgets des plus modestes, "tandis que les plus aisés épargnent toujours une part très importante de leur revenu", selon Anne Brunner, directrice des études de l’Observatoire. Sur l’inflation, en dehors du revenu, "d’autres inégalités sont à l’œuvre : ceux qui ont des logements les plus difficiles à chauffer, ceux qui ont l’obligation de prendre leur voiture pour aller travailler sont plus touchés que les autres", met-elle en avant.

Sur le plus long terme, les écarts de salaire et de conditions de travail alimentent des "tensions sous-jacentes profondes", pour Anne Brunner. Elle cite notamment l’écart moyen de 2.500 euros entre les salaires des cadres et ceux des employés ou encore le fait que les ouvriers sont, par rapport aux cadres, sept fois plus souvent victimes d’un accident du travail entraînant un handicap. En dehors des situations de pénibilité, l’Observatoire des inégalités estime qu’en 2022, 8 millions de personnes étaient en situation de "mal-emploi", en désignant ainsi les chômeurs, les personnes inactives souhaitant travailler – le "halo du chômage" – et les salariés précaires (CDD, intérim, alternance) comptant pour la moitié de ce chiffre.

Enseignement supérieur : des écarts sociaux plus marqués parmi les plus diplômés

Les modes de vie sont également "concrètement" très inégaux, selon l’Observatoire des inégalités qui se penche sur le logement et l’environnement, la santé, la vie politique et associative, le couple, les loisirs et la culture. "La qualité du logement s’améliore globalement, mais les inégalités ne diminuent pas", explique Anne Brunner. Ainsi les plus modestes souffrent davantage du bruit (deux fois plus que les plus aisés) ou encore d’humidité dans leur logement (trois fois plus). Indicateur représentatif des écarts importants de modes de vie, la part des ouvriers obèses était de 18% en 2020, le double par rapport à 2000, alors que "chez les cadres, cette proportion est moindre (10%) et a beaucoup moins augmenté en vingt ans (+ 2,5 points)"

Appelant à "arrêter la caricature" et réfutant des affirmations telles que "l’école aggrave les inégalités", Louis Maurin insiste sur les inégalités scolaires comme "matrice des inégalités" dans leur ensemble. En février 2023, il a notamment écrit une note sur les inégalités en matière d’"enseignement précoce de la lecture" par les parents et à l’école, jugeant que "les jeunes Français sont très vite mis en compétition". Le rapport ne fait pas mention des indices de position sociale (IPS) des établissements récemment publiés par l’Éducation nationale (voir notamment cet article), l’Observatoire n’ayant pas encore eu le temps d’analyser ces données. 

Dans ce nouveau rapport, l’Observatoire met l’accent sur une hausse des inégalités dans l’enseignement supérieur : entre 2008-2010 et 2018-2020, parmi les 25-29 ans, la part d’enfants d’ouvriers et d’employés diplômés d’un master ou d’une grande école a doublé, passant de 6 à 13%, de même que la part des enfants de cadres et de professions intermédiaires, qui est passée de 22 à 40%. Soit une évolution similaire mais, in fine, un écart plus important parmi les étudiants.  

Outre-mer : une grande pauvreté "cinq à dix fois plus élevée qu’en métropole"

Le chapitre consacré aux territoires fournit plusieurs repères sur la géographie des différentes catégories sociales, les inégalités de revenus à l’intérieur des régions – l’Ile-de-France étant la plus inégalitaire et les Pays de la Loire, la Bretagne, la Normandie et le Centre-Val de Loire étant les quatre régions les moins inégalitaires –, des départements et des villes. Dans les départements d’outre-mer, la grande pauvreté est "cinq à dix fois plus élevée qu’en métropole", met en lumière l’Observatoire des inégalités.

Le rapport reprend également les principales conclusions d’une récente note d’analyse de France stratégies intitulée "Inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ?", ayant démontré que "les catégories sociales les plus concernées ne sont pas les mêmes dans les grandes villes, dans les zones industrielles ou dans les régions agricoles" et que les résultats varient selon le polluant examiné. Si "l’exposition à de multiples pollutions touche à la fois les plus riches et les plus pauvres, cela ne signifie pas que riches et pauvres sont égaux face à la pollution", du fait des inégalités d’accès aux soins, conclut l’Observatoire des inégalités.