Reportage

Lycée Maurice-Ravel : « Ici, c’est une ambiance bizarre, on n’a pas les réponses à toutes nos questions »

REPORTAGE. Devant le lycée du 20e arrondissement de Paris, élèves et professeurs comprennent et déplorent le départ de leur proviseur, menacé en ligne après un incident lié au port du voile.

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Le lycée Maurive-Ravel, à Paris, le 27 mars 2024. 
Le lycée Maurive-Ravel, à Paris, le 27 mars 2024.  © Lou Roméo, Le Point

Temps de lecture : 5 min

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Face aux journalistes massés devant le lycée Maurice-Ravel à Paris, le flou et la consternation dominent. Le proviseur de l'établissement a annoncé dans un message envoyé à la communauté éducative, mardi, qu'il quittait ses fonctions pour des « raisons de sécurité », après avoir reçu des menaces de mort en ligne.

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Une mise à la retraite anticipée, présentée par le rectorat comme une « convenance personnelle » et par le ministère de l'Éducation comme « une décision compréhensible », alors que le proviseur, reçu par Gabriel Attal mercredi, bénéficiait d'une protection fonctionnelle depuis le 1er mars.

Menaces de mort sur les réseaux sociaux

Tout est parti d'un incident, le 28 février, au sein de l'établissement du 20e arrondissement de Paris. Le proviseur demande à une élève, majeure et scolarisée en BTS, de retirer le voile qu'elle porte dans l'enceinte du lycée. La jeune fille refuse. Dans une vidéo publiée par le CCIE (Collectif contre l'islamophobie en Europe) le 15 mars et relayée sur TikTok, celle-ci affirme, visage flouté, que le proviseur l'aurait « violemment tapée au bras ». Elle dépose une plainte, classée sans suite, pour « violences n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail ».

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Le proviseur, de son côté, en dépose une autre, pour « acte d'intimidation envers une personne participant à l'exécution d'une mission de service public pour obtenir une dérogation aux règles régissant ce service ».

Rapidement, et dans une mécanique désormais bien connue, la machine s'emballe. Le lycée est bloqué, aux cris d'« élève frappée, lycée bloqué ». Les réseaux sociaux s'enflamment, accusant le proviseur d'avoir giflé la jeune fille. L'homme, qui dirige l'établissement depuis sept ans, après une carrière longue de quarante-cinq ans dans l'Éducation nationale, reçoit des menaces de mort. La ministre de l'Éducation, Nicole Belloubet, se rend sur place pour lui témoigner son soutien. Deux jeunes hommes, sans lien avec le lycée, sont interpellés ; l'un d'eux sera jugé le 23 avril pour haine en ligne.

Acculé, le proviseur finit néanmoins par annoncer son départ « par sécurité pour [lui] et pour l'établissement », selon un message publié par L'Humanité sur X.

« C'est chaud et ça va trop loin »

Dans le lycée, depuis un mois, différentes versions circulent. Certains pensent encore que le proviseur a giflé son élève, ce qu'elle-même dément. Contactée par RTL, cette dernière explique avoir quitté le lycée fin février et dit regretter l'ampleur prise par cette histoire. « C'était mieux qu'il parte s'il ne se sentait pas en sécurité ; moi, je suis passée à autre chose. »

« Concrètement, on ne sait pas ce qui s'est passé. Il y a eu beaucoup de versions et on n'en a pas vraiment parlé avec nos profs, mais, que ça ait eu lieu ou non, les menaces de mort, c'est chaud et ça va trop loin, observe gravement Keïs, un élève de seconde qui discute avec ses deux amis Reda et Eigiro avant de retourner en cours. Les menaces de mort, c'est grave, quoi, donc c'est logique qu'il soit parti, c'est mieux pour tout le monde, pour qu'il ne se passe rien… »

Le spectre des assassinats de Samuel Paty, à Conflans-Sainte-Honorine, et de Dominique Bernard, à Arras, flotte au-dessus des conversations. Clarisse et Lucie, deux élèves de première, s'attristent du départ d'un « proviseur plutôt sympa, qui répondait à [leurs] questions ».

« On était un lycée tout calme, sans problèmes… »

« Je pense que c'est dommage qu'il soit parti, explique ainsi Clarisse, jogging blanc et puff à la main. Qu'il subisse tout ça, en quelques semaines, ça a dû être dur pour lui. Ce qui compte, c'est qu'il soit en sécurité. Et si, au début, je trouvais légitime de bloquer le lycée parce qu'une élève avait été violentée, c'est parce que je n'avais pas la version finale de l'histoire. Apparemment, il ne l'aurait pas frappée. Depuis, il y a une ambiance un peu étrange dans le lycée. »

« C'est un sujet dont tout le monde parle, opine son amie. Ça nous perturbe un peu, on est en semaine d'oral blanc… On n'a pas le fin mot de l'histoire, ça circule, il y a eu de fausses nouvelles. Les professeurs ont eu une réunion pour en parler entre eux, mais, dans ma classe, on ne nous en a pas parlé. C'est une ambiance bizarre, on était un lycée tout calme, sans problèmes, et maintenant, c'est dans tous les médias, ma famille m'appelle… Et on n'a pas les réponses à toutes nos questions. »

Le malaise est aussi perceptible du côté des professeurs, qui rechignent pour beaucoup à parler ou à donner leur nom, tout en concédant qu'une atmosphère « lourde » s'est installée au sein de la communauté éducative.

« Ça ne m'affole pas plus que ça »

« Il y a tout un contexte social, économique et politique qui fait que, face à des situations comme celles-ci, on peut se demander quelle vision porter sur le monde, confie ainsi un enseignant contractuel, qui tient à rester anonyme. Moi, plutôt qu'une vision anxiogène, je cherche à rester positif et optimiste. Ce n'est pas ce qui nous fera arrêter notre mission d'enseignement. Je trouve qu'il y a aussi beaucoup de bruit pour pas grand-chose. C'est monté très vite et redescendu tout aussi vite. Le problème, c'est le développement anarchique sur les réseaux, où un simple fait prend des proportions extraordinaires. »

Sa collègue, Francine Dubettier, professeure de musique au collège, tient un discours similaire. « Je ne suis pas dans la dramatisation, même si je ne veux pas dire que cela ne m'inquiète pas », développe-t-elle face à une troupe de journalistes – elle est la seule à accepter de donner son nom. « Bien sûr, il y a un retour du religieux qui est embêtant, et ça m'inquiète. Mais, d'habitude, on gère ça assez vite. Par exemple, certains de mes élèves m'ont dit qu'ils ne voulaient pas chanter parce que c'était le ramadan… J'ai réglé la chose en demandant un mot des parents et je n'ai pas eu de mot des parents. Mes élèves ont 11 ans, est-ce une vraie réflexion ? Il faut bien sûr être vigilant, mais, comme tout adolescent, je dirais qu'il y a aussi une part de provocation. Ce n'est pas le voile, c'est l'envie d'aller au-delà de l'interdit… Moi, ça ne m'affole pas plus que ça, mais c'est vraiment triste et préoccupant que (le proviseur) termine sa carrière comme ça. »

La cloche sonne la fin de la pause. Les élèves retournent en classe, quelques professeurs se pressent d'enfourcher leur vélo. Une voiture de police stationne quelques mètres plus loin, derrière une camionnette de France Info.

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Commentaires (25)

  • guy bernard

    C'est tout simplement un climat de terreur dans lequel personne ne peut vivre et qui est peu propice à un enseignement et à l'épanouissement des élèves.
    Quant à l'Etat, il adopte l'attitude du faible contre le fort, en préférant le retrait et l'évitement.
    Or, il faut trancher le Nœud Gordien ! Ce qui mène à un affrontement inéluctable.

  • Ferula

    J'ai appris un mot nouveau ! J'ignorais ce que signifiait l'expression "puff à la main" mais heureusement, grâce à Google, j'ai pu combler cette lacune. Vous allez penser que je vis sur une autre planète ou dans la cambrousse, mais pourtant pas !

  • Telliam

    "un incident lié au port du voile" ? Un intolérable scandale, oui !