L’opinion publique, cette reine méprisée
L’opinion n’a jamais été aussi étudiée, mesurée, scrutée, et dans le même temps, jamais elle ne s’est sentie aussi peu écoutée. C’est ce paradoxe que Frédéric Micheau, directeur général adjoint d’OpinionWay, tente de démêler pour nous dans un essai roboratif, “Le gouffre démocratique” (éditions du Cerf).
Le spécialiste de l’opinion publique est bien placé pour savoir que, selon ses propres termes, « les gouvernants disposent aujourd’hui d’un dispositif sophistiqué leur permettant d’écouter, de suivre et de comprendre l’opinion publique ». La question qui suit, « Qu’en font-ils ? », sert de fil rouge à l’ouvrage.
D’emblée, Frédéric Micheau pose l’opinion publique comme une « force mystérieuse » dont les gouvernants se seraient toujours défiés. Le développement des techniques de mesure, décrit par l’auteur, aurait atteint un niveau tel que « le décalage entre les attentes de l’opinion et les réponses politiques qui lui sont apportées n’est pas lié au déficit d’information. »
À quoi, alors ? Les sondages auraient tout simplement été dénigrés depuis une trentaine d’années. La faute à l’émergence de concepts comme la « sondocratie », « systématiquement évoqué sur un registre péjoratif », ou de la notion de « risque d’opinion », qui supposerait une menace, et non l’expression de la parole populaire. Une somme de préjugés – absence de fiabilité des données, perte de temps, inconstance de l’opinion… – aurait accru le « gouffre démocratique » entre gouvernants et gouvernés.
« Les politiques publiques et les préférences des citoyens doivent être alignées »
Frédéric Micheau, c’est son rôle, défend les sondages. Il les considère comme un prolongement de la démocratie entre deux scrutins, dans la lignée de la théorie américaine de la responsiveness. « Les politiques publiques et les préférences des citoyens doivent être alignées », écrit-il, « c’est la condition d’une représentation légitime. » L’auteur fait sienne la formule de Jürgen Haberman : « L’opinion publique règne mais ne gouverne pas. » Le gouvernement ne doit donc pas en avoir peur ni la dédaigner, mais accepter son « règne ». « La prise en compte de l’opinion s’impose comme une nécessité démocratique. »
Au-delà de la défense d’un pouvoir diffus dont le sondeur se fait l’interprète, cet ouvrage a un grand mérite : il nuance l’opposition entre la figure d’un gouvernant « à l’écoute de l’opinion » et un prétendu « Homme d’État » qui l’ignorerait. Autrement dit, la formule d’Emmanuel Macron pendant la réforme des retraites, « S’il faut endosser l’impopularité du pays, je l’endosserai », que cite l’auteur, n’est pas un signe de grandeur démocratique.
Le général de Gaulle, authentique homme d’État, n’a-t-il pas accepté de quitter le pouvoir après un référendum perdu ? « Les élus doivent accepter de ne pas régner, c’est-à-dire ne pas exercer un pouvoir absolu », conclut Frédéric Micheau. « Cela implique de reconnaître que l’opinion publique détient le dernier mot. En cas de désaccord persistant avec elle, il faut donc se soumettre ou se démettre. »
Le gouffre démocratique, Frédéric Micheau, Éditions du Cerf, 216 pages, 20 euros.
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