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Éric Naulleau : « Les étés dorés de Jérôme Leroy »

POÉSIE. Sa palette est vaste, du roman noir aux récits pour la jeunesse en passant par les essais. Sans oublier la poésie, qui compose ce journal de bord d’un passager clandestin.

Éric Naulleau
Jérôme Leroy.
Jérôme Leroy. Opale.photo / © Hannah Assouline

Combien de plumes chez cet oiseau rare de la littérature ? Jérôme Leroy excelle dans tous les genres, du polar politique (Le Bloc, prix Michel-Lebrun 2012) à la série noire (L’Ange gardien), des essais aux romans pour la jeunesse, de la nouvelle à d’inclassables merveilles, comme Vivonne (grand prix de l’Imaginaire 2022). En passant donc par la poésie.

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Si la vie était un voyage en avion, il semblerait que l’auteur vient de sortir des nuages et poursuit sa route dans un grand ciel calme. Qu’il plane à présent davantage qu’il ne vole. La montée a pris fin, un apaisement se fait, déjà troublé par l’idée de la descente à venir. L’image est parfois à prendre au premier degré : « Je crois aux refrains / et à la chaleur du / hublot sur ma tempe / endormie au-dessus / d’une crème dorée / froide et pure / je crois aux refrains / et désormais / c’est à peu près tout / je crois » (« Moyen-courrier »).

Mais les déplacements dans l’espace de ce « nomade paresseux et départemental » valent aussi retours dans le temps, coups d’œil jetés dans le vide accumulé au-dessous de soi par soixante années de présence sur Terre. Vers les femmes aimées : « Quand nous nous souvenons / des amours d’autrefois / souvent cela ressemble / à un tableau de Schlosser / il ne manque même pas / le parfum du shampoing / dans les cheveux d’Agnès / avant de sortir le soir / enlacés au hasard / dans la ville printanière » (« Shampoing Schlosser »).

Ce qui n’empêche de s’intéresser aux beautés qui courent les villes aujourd’hui, comme cette joggeuse du boulevard dont « la sueur de grande fille sent aussi bon que les platanes. Elle trouble les adolescents qui attendent le tramway, toujours trop rapide ». Les filles dans la rue, bande passante toujours réglée sur la bonne fréquence.

Que valait-il d’être vécu ? Telle est la question à se poser d’urgence

Des zones de fortes turbulences sont à prévoir durant le trajet, la tempête menace, il faut trouver un abri. Se réfugier dans le souvenir d’un premier baiser, dans la contemplation du ciel des Flandres, dans l’étude du grec moderne, dans une chambre d’hôtel qu’il est toujours trop tôt pour quitter, dans un film d’Ozu ou « dans un bow-window / avec vue / sur une mer septentrionale / disons la mer du Nord ou même la Baltique / et dans le bow-window / des après-midi de lecture / ou dans les strandkorb / en attendant le soleil / et les nageuses blondes / mais comprends-moi bien / en n’espérant plus rien du monde / mais alors ce qui s’appelle rien / sauf la nageuse la nageuse blonde / qui frissonne dans le bleu / sauf le bow-window / avec vue / le fauteuil club / et la fin de ce roman sur / l’idée du bonheur » (« Strandkorb »).

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Que valait-il d’être vécu ? Telle est la question à se poser d’urgence quand approche le terme d’une existence et la fin du monde : « Ce sera dans une lumière orange / sableuse / déjà sépia / comme ces photographies d’autrefois / pleines de morts souriants et sérieux / en costume du dimanche » (« Pas trop loin de l’écran »).

Journal de bord d’un passager clandestin, inventaire avant liquidation de la planète, bureau des objets perdus, grand livre des consolations de l’écrivain et du lecteur. Et des dizaines d’étés dorés est un nécessaire de voyage à lui seul, du grand voyage entre les deux néants d’avant la naissance et d’après la mort. This is your captain speaking : « Il est temps pour l’avion d’atterrir » (« Too late »).

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