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Nappes phréatiques encore vides malgré la pluie : "Ces sécheresses peuvent durer des années"
Certains territoires ne trouvent plus d'équilibre entre l'offre en eau et la demande.
2024 Anadolu

Nappes phréatiques encore vides malgré la pluie : "Ces sécheresses peuvent durer des années"

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Alors que la plupart des nappes phréatiques sont au plus haut, certaines semblent ne jamais sortir de leur situation alarmante. Pour « Marianne », la géochimiste et minéralogiste Fabienne Trolard explique pourquoi certains territoires semblent condamnés à la sécheresse.

Qu'est-ce qu'il leur faut de plus ? Après au trois moins de pluie, certaines nappes phréatiques d'Alsace ou encore des Pyrénées-Orientales refusent de quitter leur niveau alarmant, selon le dernier état des lieux du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) actualisé le mardi 16 avril. La géochimiste et minéralogiste Fabienne Trolard explique ces phénomènes de sécheresse de longue durée, malgré des conditions qui semblent étonnamment favorables.

Marianne : Selon le dernier rapport de la BRGM la situation des nappes phréatiques est « satisfaisante » en métropole, avec 58 % des niveaux au-dessus des normales. Est-ce une vraie bonne nouvelle ou simplement un résultat attendu, du fait des fortes pluies récentes et du calendrier agricole ?

Fabienne Trolard : On peut dire que l’état satisfaisant vient de ces deux effets combinés. Ce qu’on voit c’est que le cycle de l'eau fonctionne. Les nappes phréatiques se rechargent l'hiver quand il pleut suffisamment.

Le rapport parle d'un état satisfaisant « notamment sur les nappes réactives ». Est-ce que vous pouvez nous définir ce que sont ces nappes réactives ?

Ce sont celles qui se remplissent et se vident le plus vite. C'est-à-dire qu'elles sont relativement proches de la surface, donc l'eau a eu le temps de percoler jusqu'à elles. Mais elles sont fortement utilisées, car ce sont des nappes dans lesquelles on puise facilement de l'eau. Si vous avez une nappe qui se remplit régulièrement et que vous pompez et qu'elle se remplit de nouveau. C’est un cycle de l'eau durable.

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À partir de quelle période les agriculteurs commencent vraiment à extraire cette eau du sous-sol ?

Cela dépend des régions et de leur mise en place, ou non, d’un calendrier d’irrigation. Mais on observe logiquement qu’en général, on commence à pomper cette eau au moment où on a un vrai déficit hydrique pluviométrique.

Pourquoi les niveaux d’eau sont alarmants dans certaines nappes inertielles (soit des nappes réagissant très lentement aux conditions climatiques), notamment au sud de l'Alsace ainsi que sur le littoral du Languedoc et du Roussillon ?

En Alsace, la nappe est beaucoup plus profonde, et la pluviométrie n’a pas été suffisante dans certaines régions, comme autour de Perpignan. On continue à avoir un déficit hydrique important, donc les nappes n’arrivent pas à se remplir.

La situation est bien meilleure que l’année dernière à la même période, mais bien plus inquiétante qu’il y a 20 ans. Peut-on s’alarmer au niveau global ?

Par rapport à ces époques, on voit que nous avons, sur les précipitations et le niveau des nappes, un système extrêmement fluctuant. Mais on sait que quand la température augmente on accélère le cycle de l’eau, donc nous avons des aléas climatiques qui sont plus fréquents et plus importants. Là-dessus, nous n’avons aucune maîtrise, ce sont des phénomènes chaotiques.

Est-ce qu'on est arrivé à un stade où la prévision et l’anticipation deviennent très complexes ?

La prévision a toujours été difficile, mais nous avons fait énormément de progrès depuis qu'on dispose d'une surveillance satellite la météo. On peut dire que dans l'ouest de l'Europe, nous sommes relativement bien informés de ce qui se passe. Ce n’est pas du tout le cas dans certaines régions du monde. Les prévisions sont nettement moins bonnes dans des pays comme le Canada, déjà parce que le territoire est beaucoup plus grand, et parce qu’il y a des phénomènes météorologiques de plus grande ampleur, donc vous ne pouvez pas forcément mesurer l’impact.

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Mais ces phénomènes sont liés à des échanges eau / air, donc sont naturellement chaotiques. Nous n’avons aucun modèle physique qui puisse représenter tout ça. On a des prévisions pour le climat, mais pour la météo on dépasse rarement les 10 jours d’anticipation.

Les nappes des Pyrénées-Orientales subissent une tension extrême, pourquoi ?

On observe un « effet de Foehn », qui entraîne un assèchement des masses d’air lorsqu’un fort courant d’air dominant rencontre un relief et passe au-dessus de la montagne. Il est souvent observé dans ce territoire.

Aussi, avec la chaleur il y a d’importants feux, donc ça a séché l'atmosphère, donc moins de pluie. Nous avons des zones comme ça, avec de tels phénomènes, où on ne peut pas savoir combien de temps cela peut continuer : ces sécheresses peuvent durer plusieurs années. Avec un tel relief, les précipitations sont entraînées ailleurs.

Très localement, on observe sur la carte des nappes phréatiques où la situation semble ne jamais s’améliorer et sortir du niveau alarmant…

C’est difficile d’en savoir plus. Il faut qu'on continue à progresser sur la connaissance des nappes phréatiques, de leur taux de renouvellement, etc. Au Maroc, il y a eu ces dernières années des études très poussées qui ont constaté que certaines nappes ne se renouvelaient plus du tout à cause du changement climatique. Le nombre de précipitations dans l’année a diminué de manière significative, et on continue quand même à pomper de l’eau, comme si de rien n’était. Il n’y a plus d’équilibre entre l'offre et la demande.

Est-ce qu'on peut se dire qu’avec les projections climatiques du GIEC, une majorité de nappes vont subir de sérieuses sécheresses ?

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Il ne faut pas être trop catastrophistes. Nous avons une latitude en France qui permet d'avoir une bonne succession d’anticyclones et de dépressions. On a certes connu des difficultés comme en 2022, pendant des semaines il n’a pas plu, mais actuellement, nous vivons une perturbation qui est d'ordre mondial avec le phénomène cyclique « El Niño » qui entraîne des perturbations météorologiques sur la planète entière.

2022 avait été une année de mégafeux, est-ce que cela entraîne un effet boule de neige d’années en années ?

C'est effectivement un risque qui est en croissance à cause de l'élévation de la température. On observe de plus en plus de feux extrêmement importants qui accélèrent les phénomènes. Ça a été observé au Canada, ça a été observé en Australie et aussi en Sibérie sur des très grands espaces forestiers. Vous avez une colonne d’air chaud qui monte très haut dans l’atmosphère qui fait un appel d’air au niveau du sol et conduit à des mégafeux. C’est une vraie problématique sur laquelle travaillent les chercheurs et les cellules de travaux des pompiers.

Les feux ne touchent pas directement aux nappes phréatiques mais à la végétation, qui a un rôle extrêmement important dans le cycle de l’eau, par son évapotranspiration. Si les végétaux sont détruits il y a une grande difficulté à maintenir l’eau dans les sols. La forêt est une passerelle, un moyen de conduction de l'eau vers la profondeur.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne