Secrets de psychiatres : un monde de sosies imaginaires

Alice est persuadée que son mari a été remplacé par un imposteur qui lui ressemble trait pour trait. Et cet inconnu ne lui veut pas que du bien.

Par Dr Hugo Bottemanne et Dr Lucie Joly

Le syndrome de Capgras, ou délire d’illusion des sosies, est un trouble neuropsychiatrique rare mais fascinant qui se caractérise par la croyance délirante que des proches ont été remplacés par des imposteurs.
Le syndrome de Capgras, ou délire d’illusion des sosies, est un trouble neuropsychiatrique rare mais fascinant qui se caractérise par la croyance délirante que des proches ont été remplacés par des imposteurs.

Temps de lecture : 5 min

Alice et Paul vivent une retraite heureuse dans une maisonnée en pierre d'une petite bourgade de Bretagne, partageant leur temps libre entre la peinture, les voyages, et leurs petits-enfants. Un matin de printemps, Paul remarque que son épouse présente un comportement étrange : elle l'observe avec méfiance pendant quelques minutes, du coin de l'œil, silencieuse, puis reprend ses activités comme s'il ne s'était rien passé.

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La semaine suivante, alors qu'il rentre dans la cuisine pour préparer le petit-déjeuner, son épouse pousse un cri strident en l'apercevant, se saisit d'un couteau de cuisine et le questionne sur son identité : « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Paul, à l'aide ! On est rentré chez nous, appelle la police ! » avant de s'effondrer sur le sol de pierre. Transférée en urgence à l'hôpital, elle explique aux médecins qu'un inconnu ressemblant à son mari est entré dans la maison et s'adressait à elle comme s'ils se connaissaient. Elle signale qu'elle a déjà vu cet étrange sosie de son mari au cours des semaines précédentes, et qu'elle suspecte qu'il ait pu s'introduire plusieurs fois dans leur foyer.

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Le syndrome de Capgras ou l'illusion des sosies

Le syndrome de Capgras, ou délire d'illusion des sosies, est un trouble neuropsychiatrique rare mais fascinant qui se caractérise par la croyance délirante que des proches ont été remplacés par des imposteurs : le patient a alors l'impression terrible que des inconnus sont à son domicile, partagent sa vie, ou s'adressent à lui avec familiarité. Dans des formes plus rares du trouble, certains patients peuvent également avoir l'impression qu'un objet ou un lieu a été remplacé par un autre : les pièces de la maison ou les éléments de la garde-robe lui semblent inconnus, comme s'il n'y avait jamais vécu ou qu'il n'avait jamais porté ces habits.

Ce trouble de l'identification est baptisé en 1929 par le psychiatre Joseph Lévy-Valensi en hommage aux travaux du psychiatre français Joseph Capgras. Ce dernier avait publié en 1923 avec son interne Jean Reboul-Lachaux le cas clinique d'une patiente de 53 ans affirmant que ses proches avaient été remplacés par des sosies (L'illusion des sosies dans un délire systématisé chronique). Bien que rare en population générale (moins de 0,12 %), cette forme d'agnosie (incapacité de reconnaître quelque chose en l'absence de déficits sensoriels) est plus fréquente chez les patients souffrant de troubles psychiatriques (1,3 %) et en particulier chez les femmes.

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Un sentiment d'étrangeté lors du contact avec les proches

La présentation clinique du syndrome est variable. Dans la forme la plus classique, les patients parviennent à reconnaître correctement le visage de leurs proches, mais ils sont néanmoins persuadés qu'il s'agit d'imposteurs ou de sosies : ils sont saisis par un sentiment d'étrangeté provoqué par l'impression de reconnaître les traits de leurs proches, tout en ayant la sensation que ce ne sont pas réellement les personnes qu'ils connaissent. Il s'agit d'une différence importante avec la prosopagnosie (du grec prosos, visage), dans laquelle les patients sont incapables de reconnaître les visages familiers, et ont l'impression de croiser constamment de nouvelles personnes.

À l'interface entre la neurologie et la psychiatrie, le syndrome de Capgras est souvent associé à des lésions cérébrales traumatiques, des accidents vasculaires cérébraux, ou des maladies neurodégénératives comme la maladie à corps de Lewy ou la maladie d'Alzheimer. On le retrouve aussi dans certains troubles psychiatriques comme la schizophrénie, et il peut survenir rarement au cours d'épisodes dépressifs très sévères. Les mécanismes neurobiologiques impliqués ne sont pas entièrement compris, mais plusieurs études suggèrent des dysfonctionnements dans les voies neurales liés à la reconnaissance faciale et au traitement des émotions.

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Une dissociation entre la perception physique et l'état émotionnel

En effet, lorsque nous rencontrons quelqu'un de familier, que nous observons les traits de son visage, notre cerveau fait le lien entre ces informations morphologiques et notre mémoire épisodique (mémoire des moments vécus), rassemblant tous les souvenirs en lien avec cet individu. Il existe ainsi un lien émotionnel participant au sentiment de familiarité ressenti lorsque nous percevons le visage d'un proche. Dans le syndrome de Capgras, cette connexion entre l'apparence physique et l'état émotionnel pourrait être rompue, engendrant un malaise sensoriel. Dans notre cas clinique, la patiente Alice est saisie de panique lorsqu'elle aperçoit son mari entrer dans la cuisine : elle reconnaît son apparence physique mais a pourtant la sensation d'être face à un parfait inconnu.

Une étude publiée en 2017 dans la revue Brain par les neuroscientifiques du Beth Israel Deaconess Medical Center (BIDMC) va dans le sens de cette hypothèse de recherche : à partir de 17 cas cliniques, les chercheurs ont réalisé un atlas cérébral des lésions associées au trouble et une cartographie précise des réseaux liés à ces régions lésées. Les zones du cerveau présentant des lésions étaient souvent connectées au cortex rétrosplénial gauche (aire de Brodmann 30) et au cortex frontal droit, deux aires cérébrales impliquées dans la familiarité des visages et la génération des croyances.

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Ces résultats sont cohérents avec une hypothèse suggérant un processus dit à deux facteurs pour expliquer l'apparition du délire de Capgras : premièrement, une perturbation du traitement par le cerveau des informations nécessaires pour la reconnaissance de la familiarité des traits du visage, induisant le sentiment d'une étrangeté lors du contact avec les proches ; deuxièmement, une perturbation des mécanismes de formation des croyances, favorisant l'émergence de la croyance délirante.

Dans cet espace trouble entre réalité et illusion, la croyance que le proche est en fait un sosie permet alors d'expliquer l'étrangeté ressentie en sa présence, participant à réduire l'incertitude.

Dans cette série inédite, les psychiatres Hugo Bottemanne et Lucie Joly* nous font découvrir ces troubles hors du commun qui frappent, souvent dans le secret, aussi bien l'anonyme que le proche, le parent, l'ami… À travers un récit passionnant et sensible, les deux médecins décryptent les cheminements obscurs et souvent inquiétants de la maladie mentale.

*L'histoire clinique rapportée est fictive mais basée sur des faits réels qui ont été assemblés sans possibilité d'identification individuelle.

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Commentaires (2)

  • ultracrépidarien

    Comme souvent, la question du Point est mal posée, il est impossible de répondre correctement, et la réponse est fausse. Aujourd’hui : Parmi les démences, combien d’Alzheimer ? Réponse du Point : 70 %. C’est faux. La bonne réponse : 20% pour un Alzheimer au sens de Alzheimer pur. Car 70%c’est avec le taux de démence mixte : Alzheimer et artériopathique. Le reste étant partagé entre artériopathique pur et autres démences rares. (Pick, fronto-temporales, Creutzfeld-Jacob, Korsakoff etc. …). C’est encore plus faux si on considère le terme original : la vraie démence décrite par Aloïs Alzheimer était une démence présénile, qui concernait des patients avant 70 ans et même dans la cinquantaine.

  • unpeudesens

    De nouvelles maladies mentales, ou seulement des noms mis sur des symptômes déjà connus ?... Pourvu que ça dure !