ExpulsionsLa « loi Rwanda » ? Le « coup de com » aux contours « flous » du Royaume-Uni

Royaume-Uni : L’envoi de migrants au Rwanda, un « coup politique » aux contours d’application « flous »

ExpulsionsLondres a voté une loi pour envoyer des immigrés clandestins au Rwanda sans préciser toutefois comment ils seront accueillis sur place
Des manifestations à Londres contre le projet du Royaume-Uni d'envoyer des migrants au Rwanda.
Des manifestations à Londres contre le projet du Royaume-Uni d'envoyer des migrants au Rwanda. -  Wiktor Szymanowicz/Shutterstock/SIPA / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Après des mois de bataille juridique, le Parlement britannique a adopté un projet de loi permettant l’expulsion d’immigrés clandestins vers le Rwanda.
  • Cette nouvelle loi, « historique » selon le Premier ministre Rishi Sunak, provoque l’indignation à l’échelle internationale.
  • Le Rwanda, lui, se félicite de cet arrangement. Mais comment les expulsés seront-ils accueillis par Kigali ?

Lorsqu’il a présenté le projet en avril 2022, l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson décrivait le Rwanda comme un pays « mondialement reconnu » pour « son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ». Malgré la polémique et une suspension de dernière minute de la Cour européenne des droits humains en juin 2022, les députés britanniques persistent et signent. Ils ont voté dans la nuit de lundi à mardi cette loi qui permettra à Londres d’expulser au Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni.

Depuis des années, Kigali se présente comme une terre de refuge pour les exilés. Depuis 2019, le pays héberge le programme d’accueil pour les réfugiés venus de Libye. Et, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il accueillait 135.000 réfugiés et demandeurs d’asile en septembre 2023. Mais la décision du parlement britannique de relocaliser de force des immigrés, à 6.000 kilomètres de leur objectif, est avant tout un « coup de communication » et un « coup politique », assure Hélène Thiollet.

Le symbole plus que le nombre

« Le nombre de migrants concernés est dérisoire face au phénomène migratoire au Royaume-Uni. Ces politiques de retour sont quantitativement négligeables mais politiquement extrêmement centrales », assure la chargée de recherche au CNRS et spécialiste des politiques migratoires. « Cette politique n’est pas conçue pour envoyer massivement des demandeurs d’asile au Rwanda », abonde Thomas Lacroix, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des migrations internationales.

Pour Londres, l’objectif est donc de montrer sa détermination face à l’immigration illégale. Depuis le début de l’année, les traversées clandestines de la Manche ont augmenté de plus de 20 %. Ce mardi, cinq personnes se sont noyées, dont une fillette de 7 ans, en tentant de rejoindre les côtes britanniques. Mais sur les près de 30.000 personnes qui sont parvenues à rejoindre le pays en 2023, très peu pourraient être concernées par une relocalisation au Rwanda.

Un « environnement hostile » pour les migrants

« Lorsque Theresa May était ministre de l’Intérieur, elle a participé à une politique "d’environnement hostile" destinée à rendre le séjour des personnes sans papier sur le territoire britannique le plus insupportable possible. Des campagnes d’affichage encourageaient les sans-papiers à appeler un numéro pour être accompagnés dans leur retour chez eux. Mais en réalité, cette campagne était destinée aux électeurs », se souvient Thomas Lacroix pour qui la « loi Rwanda » est « dans la même lignée ».

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Et, si Rishi Sunak assure que les avions pour le Rwanda « décolleront, quoi qu’il arrive », l’application de cette loi reste sujette à de nombreuses incertitudes. La Cour européenne des droits humains pourrait de nouveau intervenir tout comme la Cour suprême britannique, qui avait estimé en novembre dernier que le projet initial était illégal.

Enfin, les associations de défense des droits humains ont promis d’user de tous les recours juridiques possibles pour combattre ce que le directeur général d’Amnesty International au Royaume-Uni a qualifié de « honte nationale ». « On ne sait même pas si, effectivement, des gens seront expulsés vers le Rwanda. Et s’ils le sont, on sait encore moins comment ils seront accueillis », glisse Hélène Thiollet.

Des beaux hôtels de Kigali aux « conditions épouvantables » de Nauru

A l’été 2022, Kigali avait organisé une opération de communication pour vanter ses hôtels rénovés dans l’optique d’accueillir ces déplacés. Mais, à côté de cette image d’Epinal, un reportage du Telegraph de juin 2022 rapportait, lui, que les réfugiés affirmaient manquer de toutes les ressources de base. Nourriture, logement, accès aux soins, etc. « Il n’y a pas beaucoup d’aide sur place parce que l’argent manque », souligne Hélène Thillot.

Difficile, en effet, d’imaginer les réfugiés « relocalisés » parvenir aisément à « reconstruire leur vie », comme le promettait l’ancienne ministre de l’Intérieur, Priti Patel, dans un pays qui affiche près de 20 % de chômage. D’autant que, si Londres a promis 144 millions d’euros à Kigali, il n’est pas précisé combien sera réinjecté pour l’accueil des immigrés. La « loi Rwanda » reste jusqu’ici « très floue sur les modalités de mises en œuvre », souligne Hélène Thiollet.

En savoir plus sur la « loi Rwanda »

« L’exemple qui existe déjà, c’est celui de l’Australie qui envoie les migrants sur l’île de Nauru. Les gens se retrouvent dans une prison dans des conditions épouvantables », rappelle Thomas Lacroix. Selon lui, si Londres suit l’exemple de Canberra, « elle violera évidemment la Convention de Genève ». Or, si Londres a divorcé de Bruxelles en 2020, elle reste (jusqu’ici du moins) sous l’égide de nombreux protocoles internationaux.

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