« Le Mangeur d’âmes » : un thriller horrifique bien de chez nous

Ce polar avec Virginie Ledoyen nous entraîne dans une enquête au cœur des montagnes vosgiennes. Une tentative intéressante de film de genre à la française.

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Un nouveau film de genre à la française, avec Virginie Ledoyen dans le rôle-titre.
Un nouveau film de genre à la française, avec Virginie Ledoyen dans le rôle-titre. © @phase4etplacedumarchéproductions

Temps de lecture : 6 min

En France, les bons thrillers se font rares. Par manque de moyens et de talents. Les réussites au cinéma se comptent en effet sur les doigts d'une main (allez, deux, tout au plus). Et la plupart du temps, nos cinéastes sont incapables de rivaliser avec des films américains infiniment meilleurs (Le Silence des agneaux, Seven ou Zodiac restent insurpassables).

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Alors pourquoi refaire, avec trente ans de retard, ce qui a déjà été fait ailleurs en mieux ? Pourtant, nos réalisateurs se frottent au genre. Et se cassent généralement les dents. On enchaîne les catastrophes dans l'Hexagone depuis des décennies. Mais l'on s'obstine à vouloir se mesurer aux thrillers américains (ou même scandinaves – que l'on se souvienne de la vague des polars nordiques lancée par la série suédoise Millénium il y a quinze ans).

Par chance, le thriller est aussi un genre littéraire qui rencontre un beau succès dans notre pays. De brillants auteurs français comme Bernard Minier, Michel Bussi, Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Franck Thilliez ou Olivier Norek ont signé des romans policiers qui ont séduit le public.

Derrière la caméra, l'expérimenté tandem Bustillo-Maury

Le Mangeur d'âmes, qui sort ce mercredi en salle, est d'ailleurs l'adaptation d'un livre d'Alexis Laipsker, paru en 2021 chez Michel Lafon. Ex-journaliste au Point, ce grand spécialiste du poker s'est affirmé comme l'une des plumes les plus aiguisées du polar tricolore. C'est pourquoi son ouvrage n'a pas tardé à intéresser les producteurs hexagonaux. Et notamment Fabrice Lambot, cofondateur de la compagnie indépendante Phase 4 Productions, qui a acquis les droits de ce best-seller. Et proposé au tandem Alexandre Bustillo et Julien Maury d'en réaliser une adaptation cinématographique.

Depuis dix-sept ans, Bustillo et Maury officient dans le cinéma d'épouvante ou d'horreur. En 2007, leur premier long-métrage, À l'intérieur, fit l'effet d'une petite bombe. Sélectionné au Festival de Cannes à la Semaine de la critique, ce film très gore racontait l'histoire d'une cinglée (Béatrice Dalle) qui persécutait une jeune femme enceinte (Alysson Paradis, sœur de Vanessa) afin de lui arracher son bébé !

Interdit aux moins de 16 ans, le film dérangeait par sa violence extrême. Dix ans plus tard, le duo a connu également une première expérience américaine en tournant Leatherface (2017), une préquelle radicale et nihiliste de Massacre à la tronçonneuse (1974).

Tourné en Bulgarie, ce film avec Stephen Dorff et Lili Taylor retraçait en 1965 au Texas les origines et l'adolescence du fameux tueur imaginé par Tobe Hooper. D'une rare cruauté, ce huitième opus de la saga se recevait comme un uppercut.

Plus récemment, Bustillo et Maury ont coréalisé aussi le très claustro The Deep House (2021). Le récit d'un jeune couple américain qui plongeait au fond d'un lac et y découvrait sous l'eau l'existence d'une maison hantée (« Inspirez profondément », recommandait l'affiche). Véritable exploit technique, ce film avec une belle tenue visuelle obtint un joli succès d'estime avec plus de 200 000 entrées dans les salles françaises.

Une intrigue ambiguë

Bref, le binôme tente visiblement de faire bouger le film de genre en France depuis des années. Pleins de bonne volonté, les Bustillo-Maury se démènent pour défendre un cinéma qui reste encore assez minoritaire en France. Celui de l'imaginaire pur. Avec leur septième long-métrage, Le Mangeur d'âmes, ces anciens journalistes du magazine Mad Movies s'attaquent pour la première fois à un sujet qui n'a rien de fantastique. Même s'ils jouent avec l'ambiguïté de l'intrigue – on se demande pendant tout le long du film si des éléments surnaturels interviennent dans le récit ou pas –, il faut attendre le twist final pour le savoir.

Ce thriller vosgien tourne en effet autour de deux enquêtes policières qui ne vont pas tarder à se croiser. Celle du capitaine de gendarmerie Franck de Rolan (Paul Hamy) qui fait face à une série de disparitions d'enfants dans un petit village de montagne sans histoire. Et l'investigation d'une commandante de police, Élisabeth Guardiano (Virginie Ledoyen), qui a découvert dans la même commune des Vosges un couple qui s'est entretué dans un pavillon avec une brutalité inouïe. Franck se demande qui a kidnappé les enfants. Élisabeth cherche à comprendre de son côté le mobile du double homicide qui a opposé cette femme et son mari.

Depuis la construction d'une autoroute à proximité de ce bled paumé, Roquenoir est devenue une ville fantôme délaissée par les touristes. Et ses habitants, plutôt sauvages, ne sont pas très coopératifs avec les forces de l'ordre. Voire carrément hostiles dans certains cas.

Pour compliquer le tout, une vieille légende de la région prétend qu'un croque-mitaine, le « Mangeur d'âmes », s'emparerait des enfants la nuit tombée. Une croyance locale qui semble terrifier la population. Bientôt, nos deux policiers découvrent que leurs enquêtes sont liées. Et par la force des choses, Franck et Élisabeth sont contraints d'unir leurs forces et de faire équipe pour découvrir la vérité. D'autant que les meurtres se succèdent dans cette ville à flanc de montagne…

Cauchemar provincial

Financé en partie par la région Grand Est, ce film avec un tout petit budget d'environ 3,5 millions d'euros a été tourné en CinémaScope dans de superbes décors naturels et de beaux extérieurs. On pense forcément à un autre thriller montagneux, Les Rivières pourpres (2000) de Mathieu Kassovitz, tiré d'un roman de Jean-Christophe Grangé.

Mais la noirceur du Mangeur d'âmes dépasse celle du film de « Kasso ». L'action se déroule dans des lieux particulièrement sinistres (chalet lugubre, bâtiment à l'abandon, hôpital désert, sanatorium désaffecté…) qui donnent au film une atmosphère inquiétante à la lisière du fantastique. De plus, tous les personnages cachent un lourd secret. Paul Hamy, que l'on avait découvert et beaucoup aimé dans Elle s'en va (2013) d'Emmanuelle Bercot où il donnait la réplique à Catherine Deneuve, joue ici un flic au passé trouble.

Un homme hanté par un trauma. Avec sa voix grave, Virginie Ledoyen incarne, de son côté, une gradée de la police peu aimable au premier abord. Une dure à cuire autoritaire qui dirige les hommes d'une main de fer. Plus tard, dans une séquence émouvante, on découvre que cette femme a vécu un drame personnel avec la mort de sa fille. Une adolescente qu'elle n'a pas pu sauver du suicide. On comprend mieux, du coup, son espoir de secourir les enfants qui ont disparu de cette ville maudite. Il y a aussi la docteure d'un hôpital, Carole Marbas (Sandrine Bonnaire), qui aide la police dans son enquête…

Visuellement soigné, ce polar du terroir offre par ailleurs quelques scènes d'action, à l'image de cette longue course-poursuite entre Franck et un mystérieux suspect, qui débute dans une scierie pour se finir sur des rondins de bois. Ou une altercation avec un énigmatique motard dont le visage est dissimulé par un casque. Mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus intéressant ici.

Virginie Ledoyen très à l'aise dans les films de genre

Le tandem Bustillo-Maury semble plus inspiré pour filmer des ambiances ténébreuses. Des flics avec des lampes torches qui traversent des couloirs sombres et ouvrent des portes en se demandant quel danger se cache derrière. Quels secrets sont tapis dans l'ombre. Ils aiment tourner aussi des scènes presque irréelles comme l'apparition nocturne d'une créature aux bois de cerf dans un hôpital. Maintenant, le film ne se révèle pas tout à fait à la hauteur de sa promesse. Le dernier acte est trop long et grand-guignolesque.

On note aussi quelques invraisemblances et une forte impression de déjà-vu qui peuvent gâcher notre plaisir. Mais on loue l'effort. Et on apprécie l'ambition des auteurs. Virginie Ledoyen est plus étonnante dans ce thriller régional. Elle s'était déjà frottée à des films de genre comme Saint Ange (2004) de Pascal Laugier, l'excellent The Backwoods (2006) avec Gary Oldman ou Enragés (2015), le remake des Chiens enragés de Mario Bava. Et elle semble très à l'aise dans cet univers.

Plus grand public que les films précédents des Bustillo-Maury – ce long-métrage n'est interdit qu'aux moins de 12 ans avec avertissement –, Le Mangeur d'âmes réserve néanmoins quelques scènes bien poisseuses qui devraient remuer le spectateur. Fans des Tuche et de Cocorico, passez votre chemin !

Le Mangeur d'âmes de Julien Maury et Alexandre Bustillo avec Virginie Ledoyen, Paul Hamy, Sandrine Bonnaire. 1 h 50. Sortie le 24 avril.

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