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De "Ressources humaines" à "Entre les murs" : Laurent Cantet, mort d’un (vrai) cinéaste indépendant
(On se souvient de nos nombreux entretiens avec Laurent Cantet depuis 2000, pendant lesquels ce grand timide, réservé et courtois, cherchait le mot juste en ne se départissent jamais de sa politesse et d’une discrète ironie.
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De "Ressources humaines" à "Entre les murs" : Laurent Cantet, mort d’un (vrai) cinéaste indépendant

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Le metteur en scène de « Entre les murs » (Palme d’or à Cannes en 2008) est décédé ce 25 avril à l’âge de 63 ans des suites d’une maladie, a fait savoir son entourage. Retour sur la carrière d’un réalisateur qui, dans tous ses films ou presque, a observé avec un regard singulier la société française et ses contradictions.

Discret et exigeant, pudique et indépendant. Tels sont les premiers mots qui viennent à l’esprit pour définir Laurent Cantet, mort hier à 63 ans, et qui laisse derrière lui une œuvre atypique et passionnante. Cinéaste politique au meilleur sens du terme, c’est-à-dire sans dogmatisme ni ornières idéologiques, il a, dès ses débuts, pris le pouls de la société française dans des fictions ancrées dans le réel.

Dans son premier long-métrage en 2000, Ressources humaines, il s’intéressait déjà au monde du travail et décrivait les relations entre un jeune homme, diplômé d’une grande école de commerce parisienne, et son père, ouvrier dans une usine normande. Même s’il a parfois tourné des fictions sur d’autres thèmes et dans d’autres territoires, Laurent Cantet est globalement resté fidèle à cette « ligne » sociale.

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« Mes films regardent incontestablement leur époque, nous racontait-il en 2017 alors que sortait sur les écrans L’atelier, fiction sur une romancière animant des ateliers d’écriture à La Ciotat. J’ai envie de rendre compte d’un certain état du monde et de ne pas laisser cette tâche aux seuls journalistes. En d’autres termes, je désire mettre les mains dans le cambouis, même s’il ne s’agit en aucun cas de donner des leçons, ou de prétendre à l’exhaustivité sur tel ou tel thème ».

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L’éducation a été un des « motifs » favoris de ce fils d’enseignants fasciné par le monde de l’école et par la transmission. Son film le plus célèbre, Entre les murs, adaptation du récit éponyme de François Bégaudeau et chronique impitoyable du quotidien dans un collège parisien défavorisé, lui a valu de décrocher la palme d’or à Cannes en 2008. Première palme française depuis 1987 et Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat, Entre les murs avait été sélectionné à la dernière minute, et présenté le dernier jour du festival. À la surprise générale, le film trôna tout en haut du palmarès avant de triompher dans les salles – 1,5 million de spectateurs.

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Grand timide, ironie discrète

Ce succès ne changea pas le cinéaste qui, avec la même humilité et se tenant toujours à l’écart des modes et des chapelles du cinéma français, continua de creuser son sillon singulier, tournant à son rythme, plutôt lent, plusieurs films importants. Parmi eux : une fiction injustement sous-estimée située aux États-Unis – Foxfire (2012), sur un gang de jeunes filles dans les années 1950 – et une autre terriblement contemporaine sur les réseaux sociaux, l’antisémitisme et la fracture sociale entre des territoires parfois séparés seulement par quelques stations de métro : Arthur Rambo (2022).

« J’habite à Bagnolet, tout près de Paris, nous racontait-il alors. Je connais la frontière sociale et culturelle qui sépare les deux côtés du périph. Cette fracture devait occuper une place importante dans mon film.Ce qui me motive le plus en tant que cinéaste, c’est d’explorer la complexité du monde dans lequel nous vivons. "Arthur Rambo" évoque le désordre mental et la confusion profonde que révèlent les réseaux sociaux. Et le film n’exonère pas ceux qui se délectent de lire les horreurs qui s’y expriment. Les réseaux sont en quelque sorte les miroirs d’une époque où l’on vante une pensée qui n’en est pas une, où règnent les surenchères et les injures et où l’on prétend exprimer des vérités définitives en une centaine de caractères. Cette simplification de la pensée est plus que problématique. »

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On se souvient de nos nombreux entretiens avec Laurent Cantet depuis 2000, pendant lesquels ce grand timide, réservé et courtois, cherchait le mot juste en ne se départissant jamais de sa politesse et d’une discrète ironie. On se souvient d’avoir réalisé un reportage d’une semaine sur son tournage le plus complexe, celui de Vers le sud (2005), inspiré par trois nouvelles de l’écrivain haïtien Dany Laferrière.

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Expatrié pour l’occasion en République dominicaine, Laurent luttait alors contre une météo calamiteuse, des figurants indisciplinés et des difficultés de toutes sortes sans jamais hausser le ton ni se réfugier dans la pose du grand cinéaste affligé par le sort. Tirant sur son éternelle cigarette, il s’adressait avec la même prévenance aux acteurs reconnus (dont Charlotte Rampling) et aux comédiens non professionnels, et était aussi attentionné à l’égard de la cantinière que de son chef opérateur. Son talent et sa délicatesse vont cruellement nous manquer.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne