reportageCes restaurants où le personnel est (enfin) aussi bien servi que le client

Week-ends libres, sept semaines de congés… Ces restaurants dans lesquels le personnel est aussi bien servi que le client

reportageComme d’autres rares structures, le restaurant « A Table ! » propose à ses salariés des conditions de travail privilégiées, fruit d’une longue remise en question
Un service du restaurant « A Table ! », peu après le traditionnel repas d'équipe.
Un service du restaurant « A Table ! », peu après le traditionnel repas d'équipe. - Youssef Zein - 20 Minutes / 20 Minutes
Youssef Zein

Youssef Zein

L'essentiel

  • Le restaurant « A Table ! » propose des conditions de travail améliorées : week-end libres, fermeture les lundis et mardis, plus de congés payés, et des salaires plus élevés. .
  • Sa fondatrice Camille Guérin explique que ce modèle permet de garder une vie sociale et ne pas se faire asphyxier par le travail.
  • D’autres structures se lancent aussi en réaction aux conditions de travail difficiles souvent imposées dans la restauration.

Si les tables et les terrasses se peuplent aux beaux jours, les restaurants peinent à trouver des bras aux fourneaux ainsi qu’en salle pour les servir. Alors que le monde de la restauration se prépare pour l’été à venir, 200.000 postes de saisonniers sont toujours à pourvoir en France. Les raisons de cette pénurie ? Des salaires trop faibles, des avantages sociaux limités ou encore des horaires intenses et irréguliers. Dans la restauration, la question du bien-être au travail est un sujet préoccupant depuis un moment. Certaines structures ont pris acte et proposent de nouveaux modèles, plus justes, qui poseront peut-être les bases de la restauration de demain.

Dès son ouverture en septembre 2023, le restaurant « A Table ! », a décidé de renverser… la table. N’espérez donc pas y manger un samedi ou un dimanche. Ni même tous les soirs. Ne comptez pas non plus y débarquer trop tard. Car l’établissement est fermé le week-end, ainsi que le lundi et le mardi soir. Ses salariés jouissent de deux semaines de congés payés supplémentaires, soit sept au total, ainsi que des salaires plus élevés que dans le reste de la profession. Avec évidemment, pour contrepartie à cet équilibre, un travail en coupure propre à la restauration. Un menu aux antipodes d’un secteur où l'on ne compte pas les heures. Camille Guérin, cheffe et fondatrice de cette adresse bistronomique du 7e arrondissement de Paris, a souhaité sortir de ces schémas extrêmes : « Je voulais garder une vie sociale pour mon équipe et moi. Le tout en travaillant avec de bons producteurs et en proposant une cuisine de qualité. ».

Un fonctionnement payant

L’absence de service le week-end peut paraître surprenante, mais se justifie aussi par l’emplacement du restaurant. « On est situés dans un quartier résidentiel, les deux jours off ne sont pas très dérangeants et le restaurant a déjà ses habitués. Pour beaucoup, ce sont les travailleurs du coin », explique la cheffe. En interne aussi, l’opération semble concluante. « Pour rien au monde je ne reviendrais à un autre fonctionnement » s’exclame Boris, le serveur de l’établissement.

Avant d’accueillir sa clientèle et de tourner à plein régime, l’équipe du restaurant prend le temps avant chaque service de partager un bon repas ensemble. Un rituel gage de bonne ambiance et loin d’être commun dans le milieu, comme l’expliquait un dossier Slate de juin 2023, qui pointait la précipitation dans laquelle se trouvaient de nombreux cuisiniers et serveurs chaque jour. Camille Guérin était autrefois dans ce cas de figure : « J’ai travaillé dans beaucoup de cuisines où il était normal pour moi de ne pas manger ». Car si partager un repas entre collègues semble tout à fait normal dans bien des métiers, la restauration ne jouit pas toujours d’un tel luxe.

La réalité d’un milieu très vertical

Cette initiative s’inscrit dans un contexte de libération de la parole dans le milieu. Le Covid a été une bascule : « Le repos forcé de la pandémie nous a permis de réaliser combien cet univers était hiérarchisé, masculin et militaire. De nombreuses personnes tombent dans les drogues et des addictions pour tenir le rythme », explique la restauratrice. Une étude de l’Observatoire français Collectif des drogues et des tendances addictives parue en mars 2023 soulignait justement la surreprésentation des acteurs de la restauration parmi les consommateurs de cocaïne.

Madalena, cheffe de partie chez « A Table ! », a aussi pu observer certaines dérives, propres au milieu : « Comme dans beaucoup de métiers “passion”, on est habitués à tolérer des conditions de travail très difficiles. Par exemple, il y a une vraie névrose à l’idée de ne pas être chef à 30 ans qui pousse les jeunes à accepter l’inacceptable ».

Marina Delorme, propriétaire de Pleni, un restaurant à Issy-les-Moulineaux, a aussi aménagé l’emploi du temps de ses salariés de la sorte : fermeture les soirs et les week-ends, ainsi que sept semaines de congés payés. Lentement mais sûrement, elle observe un changement chez ses confrères : « Ça met du temps, c’est un peu le travail des professionnels et des médias de mettre en avant les bonnes initiatives. Il y a beaucoup de personnes qui œuvrent en ce sens et dont le travail mérite d’être davantage mis en avant ! » Les restaurateurs qui peinent à trouver des bras pour leur brigade devraient éventuellement songer à puiser leurs inspirations managériales ailleurs que dans les régiments d’infanterie.


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