L'émission de téléréalité de TF1 a été diffusée pour la première fois en juin 2007.
L'émission de téléréalité de TF1 a été diffusée pour la première fois en juin 2007. Charlotte Paroielle / Le Figaro

«Il fallait s'engueuler, crier fort, avoir du caractère» : comment Secret Story a marqué toute une génération de téléspectateurs

RÉCIT - Six ans et demi après son arrêt, l’émission de téléréalité culte de TF1 a fait son retour sur le petit écran, mardi. Diffusé pour la première fois en 2007, le programme a marqué des millions de téléspectateurs.

Mercredi, Ludovic*, avocat de 37 ans, a décalé tous ses rendez-vous de la matinée. «J’avais anticipé que je me coucherai trop tard à cause de Secret Story », justifie le plus sérieusement du monde le conseil établi à Albi (Tarn). «Chez nous, c’est une affaire de famille ! Mon père, qui a 76 ans, est un fanatique de la première heure. La première fois que nous avons regardé, j’avais 20 ans et nous avons tout de suite trouvé l’expérience et le mécanisme étonnants», raconte l’homme qui aborde cette émission culte de TF1 comme un «jeu de piste». «Nous sommes très attachés à ce programme... Ça nous avait beaucoup manqué», s’enthousiasme-t-il.

Six ans et demi après son arrêt, Secret Story a fait son retour sur le petit écran pour une douzième saison, mardi 23 avril. Diffusé pour la première fois en juin 2007, le programme de téléréalité a fidélisé des millions de téléspectateurs autour d’un concept simple et ludique. Des candidats sont enfermés plusieurs semaines dans la une maison truffée de caméras. Chaque participant a un secret que les autres doivent découvrir. Celui qui trouve le secret de l’autre gagne sa cagnotte. Toutes les semaines, un participant est éliminé en fonction du choix du public qui vote par SMS. Le gagnant remporte une importante somme d’argent - le plus gros gain de l’histoire du jeu, 197.805 euros, a été remporté en 2010 (saison 4).

«Ayem, enchantée»

La force de Secret Story, héritière de Big Brother, une téléréalité hollandaise créée en 1997, et de Loft Story, lancée dans l’Hexagone en 2001, «est la dimension ludique qui n’existait pas jusque-là dans les émissions», décrypte Alexia Laroche-Joubert, PDG de Banijay France, qui a participé à la création de la première saison. Cocktail réussi. En dix-sept ans, le programme a inondé la télévision française de références devenues cultes.

C'était addictif, un peu comme on dévorerait une série où il y a de nombreux retournements de situation. Il fallait être là au prochain épisode. Nous étions aspirés

Inès*, journaliste, 26 ans.

Il y a d’abord «La Voix», maître du jeu omniscient personnifié par le timbre sépulcral de Dominique Duforest, qui peut s’adresser à tout moment aux candidats pour leur donner des missions, commençant ses interventions de son célèbre «Ici la voix» et les concluant par son mythique «C’est tout, pour le moment». Il y a ce générique, dans lequel les concurrents apparaissent magnifiés, et sa musique I Wanna Chat de Booty Fool. Il y a aussi la «Maison des secrets», ses décors pop bigarrés, ses pièces secrètes et son confessionnal où les candidats commentent ce qu’ils font de leur journée. Et, enfin, son présentateur phare, Benjamin Castaldi, qui incarna l’émission huit saisons avant de passer la main à Christophe Beaugrand.

Au tournant des années 2010, les réseaux sociaux élargissent le spectre des spectateurs, érigeant en «mèmes» des passages de l'émission, ses clashs, ses histoires d’amour et ses séquences sexy. Ainsi d’«Ayem, enchantée», du «Ça va, Senna» d’Amélie Neten ou encore du tonitruant «Caméra !» d’Anaïs.

Secrets rocambolesques

«Ce qui me plaisait avant tout, c’était les secrets. Certains me faisaient peur, d’autres m’intriguaient», se souvient Hillary, 20 ans, fidèle parmi les fidèles. Pour cause, le programme a été marqué par des secrets rocambolesques : «Je suis un vampire» (Alexandre, saison 4, qui avouera plus tard que ce secret lui a été attribué en raison de son style vestimentaire gothique), «Je suis en communication avec Dalida» (Nicolas, 3), «J'ai survécu à un crash aérien» (Mathieu, 6), «Mon histoire a fait près de 20 millions d'entrées au box-office» (Abdel, 8, qu’Omar Sy a incarné dans Intouchables), «J'ai été garde du corps d’un président» (Makao, 11, l’agent de sécurité d’Emmanuel Macron) ou encore «Je suis le premier homme enceinte» (Thomas, 10).

Mais aussi par des personnages hauts en couleur à l’instar de Thomas et Benoît, surnommés «La Brigitte» et «La Josianne». «L’objectif initial était de surprendre avec un casting qui mettait en avant des personnalités qu’on n’avait pas l’habitude de voir à la télévision française», ajoute Alexia Laroche-Joubert. Ainsi d’Erwan, homme transgenre, dans la première saison.

Verrai-je la chasse aux secrets, les éliminations et les dilemmes avec la même intensité qu'à 15 ans ? C'est mon interrogation majeure.

Oussama, assistant de production, 23 ans

Inévitablement, l’émission s’invite dans les cours des établissements. «Il m'arrivait d'enquêter pour découvrir ce que mes camarades cachaient», poursuit la Toulousaine, étudiante en droit. Oussama, 23 ans, abonde : «Au collège, il nous arrivait de parler l'émission. Je préférais les candidats controversés, comme Coralie dans la saison 9 qui représentait l'antagoniste parfaite, les débats étaient parfois enflammés. Mais mes opinions étaient toujours tranchées et bien défendues.»

«On posait le cerveau»

Comme beaucoup d’adolescents, l’assistant de production parisien suivait le programme en cachette. «Mon père n'est pas très féru de téléréalité. Donc je regardais l’émission dans ma chambre sur mon ordinateur», se souvient-il. «Ce qui m’a tout de suite plu, c’était que c’était en direct, poursuit Oussama. Mon meilleur souvenir est l'altercation entre Anaïs et Mélanie dans la saison 10 qui a eu lieu en plein prime. C’était totalement imprévu… Les noms d'oiseaux fusaient et la censure était impossible. Je riais tellement que j'en suis tombé de mon canapé. Peu de scènes, tous médias confondus, m'ont procuré cet effet.»

La réticence du père d’Oussama à laisser son fils regarder ce type de programme n’était pas vaine. Les parents des amateurs du programme font face à ce dilemme inhérent à la téléréalité : Se divertir ? S'abrutir ? Ou les deux à la fois ? En 2014, une étude de l’Éducation nationale affirmait que «le visionnage très fréquent des programmes de téléréalité» faisait perdre à ses jeunes spectateurs quelques points dans leurs moyennes. En 2019, une étude inquiétante menée par l’association britannique Mental Health Foundation établissait que «la télé-réalité alimente l'anxiété des jeunes à propos de leur corps, ce qui peut conduire à des pensées suicidaires».

Avec du recul, Inès*, âgée aujourd’hui de 26 ans, reconnaît que Secret Story «était l'un des programmes télé les plus débiles que je regardais». «On posait le cerveau avant d'allumer l'écran», se remémore la journaliste qui découvre ce programme à l’âge de dix ans. «Secret Story était le parangon du divertissement dans la téléréalité. Ce n’est pas “Question pour un champion”, l’ambition n’est pas d’élever intellectuellement le téléspectateur», tempère Virginie Spies, sémiologue et enseignant-chercheur à l’université d’Avignon, auteur de l’article En 20 ans, le confessionnal a (presque) remplacé les animateurs dans les programmes de téléréalité .

Secret Story est à la fois un jeu et un rite en ce qu'il rassemble des candidats autour d'une liturgie symbolisée par La Voix, le confessionnal et les commandements

Émile Gayoso, enseignant-chercheur en sociologie à l'École normale supérieure

Eugénie, elle, avait le droit de regarder Secret Story les vendredis soir. «Je regardais avec ma meilleure amie qui dormait ensuite chez moi. Je me souviens du premier prime de la saison 4 avec Senna et Amélie, j'avais 11 ans. C'était un couple iconique», se remémore la professeure de français de 25 ans. «J'avais l'impression de regarder un programme d'adulte. Il y avait ce côté voyeuriste très marqué, on nous présentait la vie des gens et c'était ce que je préférais. Avec du recul, je me rends compte que ça ne correspondait pas du tout à l'éducation que mes parents m'ont donnée», poursuit la Lyonnaise.

Pour la jeune femme, qui s’inscrit dans cette «génération Secret Story», le programme «a influencé une partie des jeunes téléspectateurs, notamment dans leurs comportements sociaux et les rapports avec leurs camarades. Certains reproduisaient ce qu'ils voyaient à la télé : il fallait s’engueuler, crier fort, avoir du caractère».

Rite et jeu

Derrière l’impression de vide que véhicule le programme, son succès est pourtant le fruit d’un «dispositif très efficace», soutient Émile Gayoso, enseignant-chercheur en sociologie à l’École normale supérieure. «Le public a aimé l’émission car les candidats forment une communauté qui est mise en scène, avec une dynamique de groupe qui manque à la société contemporaine traversée par la solitude des grandes villes. L’émission fait penser à des vacances entre amis. Cela permet au téléspectateur de s’identifier à une vie sociale autre qu’un quotidien plutôt plat», explique l’auteur de Sacrée Story : la téléréalité comme rite d'institution de l'individu compétitif .

De même, poursuit-il, le rôle «agissant» du public, qui par ses votes décide quel candidat quitte ou continue l’aventure rend l’émission efficace. «Cela fidélise le téléspectateur qui suit l'aventure humaine d'un groupe qu’il façonne au cours des semaines», ajoute l’enseignant-chercheur. «Secret Story est donc à la fois un jeu et un rite en ce qu’il rassemble des candidats mis à égalité autour d’une liturgie symbolisée par La Voix, le confessionnal et les commandements», conclut Émile Gayoso.

La saison 12 parviendra-t-elle à raviver la flamme des jeunes adultes qui, adolescents, ne rataient pas une quotidienne ? Inès* regardera «par curiosité». «Si ça marche, ce sera grâce au côté nostalgique, explique la Parisienne. C'était addictif, un peu comme on dévorerait une série où il y a de nombreux retournements de situation. Il fallait être là au prochain épisode ! Nous étions aspirés.» Oussama, conclut : «Verrai-je la chasse aux secrets, les nominations, les éliminations et les dilemmes avec la même intensité et la même passion qu'à 15 ans ? C'est mon interrogation majeure... Et j'espère que cette édition parviendra à raviver cette magie.»

*Les prénoms ont été modifiés.

«Il fallait s'engueuler, crier fort, avoir du caractère» : comment Secret Story a marqué toute une génération de téléspectateurs

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