Tribune

Qu’est-ce que l’« émocratie » et la « démocrature » à l’ère de l’intelligence artificielle ?

TRIBUNE. Les démocraties du monde entier sont soumises à rude épreuve. Dans ce contexte, les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus critique dans notre rapport à ces démocraties et à leur stabilité.

Par Morgane Soulier*

Alors que le climat géopolitique mondial est particulièrement tendu, les démocraties du monde entier sont soumises à rude épreuve. Dans ce contexte, les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus critique, mais aussi de plus en plus controversé dans notre rapport à ces démocraties et à leur stabilité.
Alors que le climat géopolitique mondial est particulièrement tendu, les démocraties du monde entier sont soumises à rude épreuve. Dans ce contexte, les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus critique, mais aussi de plus en plus controversé dans notre rapport à ces démocraties et à leur stabilité. © SYSPEO/SIPA / SIPA / SYSPEO/SIPA

Temps de lecture : 4 min

Alors que le climat géopolitique mondial est particulièrement tendu, entre des conflits armés menaçant d'embraser des régions entières, des élections nationales aux enjeux capitaux, et une crise sanitaire qui peine à s'effacer, les démocraties du monde entier sont soumises à rude épreuve. Dans ce contexte, les technologies numériques, et en particulier l'intelligence artificielle (IA), jouent un rôle de plus en plus critique, mais aussi de plus en plus controversé dans notre rapport à ces démocraties et à leur stabilité.

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Ainsi, l'émergence de concepts tels que l'émocratie et la démocrature nous aide à décrypter ces nouveaux défis.

Se révélant dans le contexte où les émotions l'emportent sur les faits et prennent le dessus sur la raison dans le débat public, l'émocratie risque de compromettre la rationalité nécessaire au fonctionnement démocratique. Amplifié par les réseaux sociaux, ce phénomène voit les informations, souvent non vérifiées, se propager à une vitesse fulgurante, engendrant des réactions émotionnelles immédiates et parfois extrêmes. Cette prédominance des émotions sur le débat rationnel peut conduire à des décisions politiques hâtives et éloignées d'une analyse objective des faits. La manipulation émotionnelle devient alors une stratégie exploitée, utilisant l'analyse de données et l'IA pour influencer l'opinion publique, ce qui peut éroder les fondements de la démocratie en favorisant la polarisation et en réduisant l'espace pour un dialogue constructif.

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À l'opposé, la démocrature, sous couvert de démocratie, camoufle un régime autoritaire utilisant les outils numériques et l'IA pour renforcer son emprise sur les citoyens. Dans ce scénario, les technologies numériques et l'IA sont détournées pour surveiller et contrôler la population, souvent sous couvert de sécurité nationale. La surveillance de masse, la censure et la manipulation de l'information sont des outils courants dans une démocrature, où les voix dissidentes sont réprimées et l'espace démocratique se rétrécit progressivement. Ces régimes exploitent ainsi les technologies numériques pour surveiller étroitement les citoyens et filtrer l'accès à l'information, érodant ainsi les libertés individuelles et la pluralité des opinions. La démocrature illustre comment les apparences de la démocratie peuvent être maintenues et manipulées pour dissimuler une gouvernance autoritaire, où les technologies numériques servent non pas à émanciper les citoyens, mais à les contrôler.

Le rôle de l'IA et du numérique dans les démocraties modernes

Le numérique, et par extension l'IA, se montre alors comme un outil à double tranchant. D'un côté, ces technologies promettent d'améliorer la gouvernance grâce à une meilleure analyse des données, une optimisation des services publics et une plus grande inclusion des citoyens dans le processus décisionnel. D'un autre côté, elles peuvent être détournées pour manipuler l'opinion publique, surveiller de manière intrusive les individus et contrôler l'information.

L'impact de l'IA sur l'émocratie se manifeste de façon particulièrement aiguë dans le traitement des informations. Les algorithmes, devenus des curateurs d'informations primordiaux, peuvent accentuer les émotions plutôt que la raison, favorisant des réactions impulsives plutôt que des délibérations informées. C'est là que le concept d'émocratie prend tout son sens : une démocratie pilotée par les émotions, où la raison cède le pas à la passion, est une démocratie en péril.

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Par ailleurs, la démocrature se nourrit du numérique pour consolider son emprise. En contrôlant les médias sociaux et les outils de communication, un régime peut facilement déguiser son autoritarisme derrière une façade de démocratie participative. Les outils de reconnaissance faciale, de surveillance massive et les algorithmes de profilage deviennent alors des instruments de pouvoir au service d'une élite qui manipule les processus démocratiques à son avantage.

Vers une régulation équilibrée

Face à ces enjeux, la question de la régulation du numérique et de l'IA devient cruciale. Il s'agit de développer des politiques qui favorisent la transparence, la redevabilité et l'équité dans l'utilisation des technologies numériques. Les démocraties doivent instituer des garde-fous robustes pour prévenir les abus tout en exploitant le potentiel de ces outils pour renforcer le système démocratique plutôt que de le miner.

Cela implique une coopération internationale renforcée pour mettre en place des normes globales autour de l'utilisation de l'IA et des données. Les États, les entreprises du secteur technologique, les experts en éthique, et les citoyens eux-mêmes doivent être partie prenante de ce dialogue.

Ainsi, si l'émocratie et la démocrature symbolisent deux dérives potentielles de nos démocraties modernes influencées par le numérique, elles servent aussi de rappel urgent pour une vigilance accrue. Dans un monde où les outils numériques sont omniprésents, garantir leur utilisation éthique et démocratique est non seulement un défi, mais une nécessité absolue pour préserver les fondements de notre liberté et de notre coexistence pacifique.

*Morgane Soulier est conférencière et consultante, experte en numérique. Elle est aussi l'auteur de l'ouvrage « Métaverse, comprendre le monde qui vient » (Éditions Grasset).

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Commentaires (7)

  • Legoff

    Emerek
    Tocqueville utilisait le terme democrature ?
    on en apprend des choses ici.

  • Didier63

    @Ferula 28-04-2024 • 15h12
    C'est déjà le cas et depuis bien longtemps.

    Platon l'avait décrit en le nommant d'ailleurs à cette époque une "tyrannie", en somme synonyme d’autoritarisme, de despotisme et de domination, qui se manifeste à travers un pouvoir irrésistible ou une contrainte violente ou même la domination des passions. Tout a déjà été dit depuis bien plus de 2000 ans !

  • Ferula

    Finalement, n'allons-nous pas tout bêtement (adverbe employé à dessein) vers l'émocrature ?