Sur les côtes du Pas-de-Calais, à force, tout le monde le sait : quand la journée est belle, la nuit risque d’être mortelle. Samedi, les habitants d’Ambleteuse, petite commune balnéaire située au nord de Boulogne-sur-Mer, ont pu profiter d’une météo clémente de fin d’été. Temps frais mais sec, souvent ensoleillé. A certains endroits, depuis la station touristique, on aperçoit les côtes britanniques. Elles paraissent toutes proches, une quarantaine de kilomètres à peine, à vol d’oiseau.
C’est au large de ce village qu’une embarcation clandestine surchargée est venue se déchirer sur des rochers, dans la nuit de samedi à dimanche, vers 1 heure du matin. Au moins huit personnes, des hommes «apparemment majeurs», selon la préfecture du Pas-de-Calais, sont mortes dans le naufrage du bateau de fortune sur lequel s’entassaient une soixantaine de passagers «originaires d’Erythrée, du Soudan, de Syrie, d’Afghanistan, d’Egypte et d’Iran». Six rescapés ont été transportés «en urgence relative vers les hôpitaux de Boulogne et de Calais, dont un nourrisson de 10 mois en état d’hypothermie», a indiqué le préfet, Jacques Billant, lors d’un point presse organisé sur la digue d’Ambleteuse dimanche dans la matinée.
«Zone d’urgence humanitaire»
Parti depuis «le secteur de la Slack», fleuve côtier dont l’embouchure est située entre Wimereux et Ambleteuse, le canot s’est disloqué dès son arrivée en mer. «Seule une personne sur six était équipée d’un gilet», a souligné le représentant de l’Etat dans le département, avant de rappeler que plus de 200 migrants avaient été secourus en mer la veille par la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord (Prémar). Un «nouveau drame» survenu moins de deux semaines après le pire naufrage de l’année dans les Hauts-de-France, qui a fait douze morts (dix femmes, deux hommes), deux disparus et plusieurs personnes en urgence absolue le 3 septembre au large du cap Gris-Nez, entre Boulogne-sur-Mer et Calais. L’incident le plus meurtrier depuis celui qui avait causé 27 morts – et 4 disparus – le 24 novembre 2021, aux environs de Calais. Un traumatisme dans la région, pour les habitants comme pour les associations qui s’inquiètent de l’indifférence grandissante face à une répétition morbide devenue tristement habituelle.
«Ce sont au total 46 migrants qui sont décédés depuis le début de l’année en tentant de rejoindre la Grande-Bretagne à bord d’un small boat», a observé, dimanche matin, le préfet du Pas-de-Calais. Les associations d’aide aux exilés du littoral font état quant à elles de plus d’une cinquantaine de morts. Dans tous les cas, 2024 est bien l’année qui aura enregistré un nombre inégalé de morts depuis la hausse des tentatives de traversées de la Manche en bateau, en 2018, après le verrouillage du tunnel sous la Manche et du port de Calais.
«Cette année 2024 est très difficile. Les conditions d’intervention des forces de l’ordre sont rendues très complexes avec des passeurs et des migrants très agressifs, note Jacques Billant. Ces derniers jours et encore cette nuit, des véhicules de la police et de la gendarmerie ont été pris pour cible et des policiers et des gendarmes ont été blessés.» «La lutte contre les réseaux de passage et l’action policière pour empêcher les traversées est inefficace et conduit à ces drames, répond l’association Utopia 56 dans un communiqué. La France et l’Angleterre doivent reconnaître la Manche comme une zone d’urgence humanitaire et secourir les personnes qui s’y trouvent pour cesser de se rendre coupables de ces morts.»
Les départs, «c’est tout le temps»
Ces derniers jours, à la faveur d’une fenêtre météo favorable, les tentatives de traversée se sont démultipliées. Sur la seule journée de samedi, «18 tentatives de départs d’embarcations ont été suivies» par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage du cap Gris-Nez, a annoncé la préfecture maritime. Après un été particulièrement macabre, les habitants du littoral, entre résignation et compassion, savent qu’ils risquent encore d’entendre, dès l’aube, un ballet d’hélicoptères recherchant des survivants en mer. L’automne 2023 a été émaillé de plusieurs naufrages sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais : trois morts le 22 novembre à Equihen-Plage ; deux autres noyés le 15 décembre, le jour même d’une visite de Gérald Darmanin à Calais qui s’y rendait pour défendre son projet de loi sur l’immigration.
Les départs, «c’est tout le temps : hiver, jour, nuit, été, dès que la mer est calme», déplore la bénévole associative Christine Leclair. A Ambleteuse, dimanche vers 7h30, une poignée d’heures à peine après le naufrage dans lequel huit exilés perdaient la vie, un second bateau, similaire, tentait sa chance vers l’Angleterre.
Mise à jour : à 9 heures 20, avec le bilan de la police ; à 11 heures 30, à 18 h 45 avec davantage de contexte.